URDURI : 1º “inquiet, qui appréhende”
; 2º “interloqué, interdit” ; 3º
“circonspect, attentif, aux aguets”. L'expression URDUL-GORDAILU
(de GORDAGAILU) “(vêtements) cache-honte”, Estérençuby,
“très légèrement vêtu, court vêtu”,
permet de préciser le sens de “pudeur, respect” contenu
dans URDURI.
Le mot est un déverbatif
URDUR-I qui se reconnaît à la désinence
primaire /-I/, et formé, comme BEL-DUR, HAIDUR,
BARUR/BADUR, etc. Soit un radical /UR-/ complété
de /-D-UR/ “être”
(qui)
est à voir, (exposé) au regard, à respecter, à
regarder avec égard, avec crainte, etc. /OR/ serait une contraction
de /OHAR/ “percevoir, remarquer”
/*OK-HAR/ “prendre (à l)'œil”, “saisir
(par l)'œil”, cf. HOR
“chien = gardien” (voir ce mot). Cf. gr. οὖρος
(ouros) “gardien, protecteur” du verbe ὁράω
(ϝ/woráō) “voir, porter la
vue sur, contempler” ; skr. pasuš-haurva
“qui garde le bétail” : La forme URDURIAK (pluriel)
ou *URDULAK correspond à “BEKATUA” “pécher”
pour “les parties honteuses”, relevé à Urrugne.
Le correspondant lat. en est uerendā
= pudenda “les parties honteuses”,
dérivé de uereor “éprouver
une crainte religieuse ou respectuuse”, apparenté à
gr. ὁρῶ (ϝ/worō)
“je vois”.
Il y a déjà le parallèlisme des formes des futurs
bsq. en /-EN/ et les morphèmes
à même valeur de uer-en-da,
pud-en-da, del-en-da,
etc., du latin. La traduction grecque de URDUL/uerenda
est τὰ αιδοῖα
(tà aidoĩa) “parties honteuses”, dérivé
du verbe αἴδομαι
(aídomai) “craindre, respecter” qui nous renvoie à
bsq. (H)AIDURU “attention” et du probable doublet EKHÜRÜ
(Soule, Roncal) “patient, dans l'expectative, tranquille”. Ce
“doublet” est du plus haut intérêt pour l'étude
de la formation des mots. En effet, URDURI, (H)AIDURU, EKHÜRÜ
suffixés semblablement et participant du même champ sémantique
“appréhender, attendre, patienter” que rejoint d'un peu
moins près (E)IDURU “représenter, image”
et (E)IDURI-KA-TU “attendre, patienter”, semblent bâtis
sur des radicaux différents : UR-/OR-, EID-/AID-,
EK-/OK- :
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U/OR-
: semble donc rapprochable de lat. uereor
et de gr. ὁρῶ
(ϝ/worō), à son tour rapprochable
de bsq. OHAR (*OK-HAR ?). |
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EI/AID-
: évoque, forme et sens, gr. οἶδα
(oida) “j'ai vu”
“je sais”, qui a un dérivé étrangement
proche formellement de AIDURU, et c'est ἄιδρος
(aidros) “connaissance, habileté” et v. norr. vitr
“intelligent” ; et surtout lat. uīdī
“j'ai vu”, parfait de videō
; toutes formes attribuées à la racine i.-e. /*weid-/
“voir”
skr. véda, gr. εἶδος
(eidos), ἰδεῖν
(idein), bsq. E(G)ITE “ressemblance”, gr.
εἰδαλίμος
(eidalimos) “à la fière allure” et bsq.
EIDER “beau”, (E)IDURI “image, aspect”,
etc. |
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E/OK-:
évoque gr. *δοκάο
(dokao), attesté seulement avec préverbe προσδοκάω
(prosdokaō) “s'attendre que”, lat. doceo
“montrer, faire voir”
/*okw-/
“voir” ; et surtout gr. δέχομαι
(dekhomai) “attendre, recevoir” (Hom., etc.).
Les racines qui ont été posées pour ces
mots sont diverses et divergentes : |
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Pour δέχομαι
(dékhomai) “attendre”, Chtr. 259 : « radical
important exprimant l'idée de “se conformer à,
s'adapter”, d'où les emplois dans des situations aussi
diverses que celle de “recevoir, attendre” et “juger”
de δοκέο
(dokéo) [...] lat. decet
“il convient”, decus,
dignus, etc. ; skr. dā́śatı̊
et dā́ṣṭi
“il honore” ; arm. tesi
“voir”, etc. [...] . » Et Chtr. renvoie à
E. Bvn., Origines, 156, qui propose comme racine «
I /*əéd-k-/ attesté
par avest. adka-, skr. átka
“manteau, armure” et confirmé par hitt. hatk-
“enfermer, recouvrir”, et II /*əd-ék/.
»
Nous ferons remarquer que l'idée de respecter, d'honorer
est liée à la notion de regard, cf. fr. égard,
confirmé par angl.-sax. regard,
etc., qui renvoie à la racine /*okw-/
“voir, œil”
v. sl. oko “œil”,
lat. oculus “ouverture,
œil”, véd. áksi,
génitif de v. sl. očese,
bsq. EKUS-I “voir”, bsq. AZTI “devin,
voyant”, “chamane”, bsq. BEGI “œil”,
etc. |
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Pour ὁράω
“voir”, Chtr. 814-815 propose : « l'existence d'un
/ϝ/ initial est garantie
par l'imparfait ἐώρων
(eϝ/wōrōn), mais l'aspirée
ne s'explique guère [...] le radical de ce verbe n'est pas
analysé sûrement, etc. [...] rapprochements [qui] reposent
sur /*wer-/*wor-/
v.h.a. wara “attention”
[...] tokh. A war, thok. B wera
“odeur” (i.-e. woros),
etc. »
Nous avons proposé ailleurs (voir HOR)
bsq. OHAR (*OK-HAR) “observer”, qui dérive
de la racine /*okw-/
“voir”. |
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Pour αἴδομαι
“craindre, respecter”, Chtr. 32 : étymologie «
incertaine, mais on a l'habitude de poser /*aı̊zd-/
et de rapprocher got. aistan “avoir
peur, respecter”» et plus loin skr. īḑé
“louer, honorer”. Cf. bsq. IZI-TU “(s)'effrayer”,
mais surtout BEITU
BEHATU
BEGIRATU “observer, surveiller, être sur ses gardes,
etc.” ; les trois formes coexistent dans le parler moderne et
il semble bien que ce soit la base de la “racine” i.-e.
/weid-/ de lat. videō
“je vois”, gr. ὄιδα
(oida) “j'ai vu”. |
Ainsi /*okw-/
constitue le point de départ de toutes les formes que seul le basque,
à notre point de vue, autorise à concilier grâce à
son polymorphisme attesté et actuel : EKÜRÜ, BEGI
( *BE-OKU-I)
BEGIRATU
BEITU,
OHAR (
*OK-HAR). Dans BEI-TU la trace de la racine /*okw-/
a disparu (cf. lat. nouācula “rasoir”
/*kes-/
(disparu) “gratter”
gr. ζυρόν
(zurón), skr. ksuraḥ “rasoir”,
bsq. TZARRAST “gratter”) et l'i.-e. /*weid-/
en est résulté. Dans OHAR- la gutturale s'est amuie
et nous avons la clé de l'énigme de gr. ὄραω
lat. uereor, auxquels la base /*okw-/
“voir” manque aussi. |