A - |
Le système morphologique
Cest lensemble des morphèmes grammaticaux dune langue.
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Pour tenter de connaître le signifiant
dun morphème, on compare les représentants présumés
dans les diverses langues supposées apparentées : ainsi
le suffixe bsq. /-LE/ et li.-e. /-lo/
(lat. /-lis/-bilis/
; le suffixe /-TASUN/ des abstraits bsq. et les suffixes lat.
/-tas/ et gr. /-συνη/
(sunē), abstraits aussi : lat. civitas,
potestas, gr. κουροςύνη
(kourosύnē) jeunesse de κορος,
κουρος
enfant : ce /-tas/
semble signifier le fait de, la condition dêtre
un citoyen, davoir le pouvoir, dêtre enfant ou jeune.
Le /-TASUN/ de bsq. se réalise en Souletin /TAR-ZUN/
; il y a donc agglutination de suffixes de même valeur (cf.
lat. /-issimus/), et la forme
souletine livre une clé dinterprétation possible
de /-TA/
/-TAR/ qui est de, procède de, appartient à,
XIBERO Soule et XIBERO-TAR Souletin.
Ces faits tendraient à prouver quils relèvent
dun système morphologique stable dans les trois langues
qui les pratiquent et que, de plus, la séparation des trois
branches nest pas si ancienne quon pourrait
le supposer. Lattribution à lemprunt pur et simple
de ces formes suffixales, et de quelques autres, par le basque aux
langues romanes coupe court aux hypothèses inverosimiles
de certains linguistes, mais rien ne permet de prouver cette position.
Mais quand le sytème morphologique a subi une évolution
en profondeur, les signifiants seuls se laissent identifier, alors
que les signifiés divergent au point quil nest
pas possible de superposer les emplois. On imagine, dans ces cas,
des structures syntaxiques très différentes de celles
historiquement attestées, et dans lesquelles les emplois se
rejoignaient : cest, par exemple, le cas des infinitifs (voir
ci-dessous), peut-être des suffixes dagent et dinstrument,
de certains suffixes des couleur, etc. Bsq. ZUHAIL (
/ZUR-I/ blanc + /AIL/*we/ol-/
tourner) blanchâtre, HORAIL (
/HORI/ jaune + /AIL/) jaunâtre,
GORRAIL (
/GORRI/ rouge + /AIL/) rougeâtre,
et même BERDAIL (BERDE = vert) verdâtre
; qui tourne au blanc, au jaune, au rouge, au vert, etc..
Ce suffixe se retrouve dans quelques autres formes : SEKAIL
pas gras, plutôt sec dit des personnes, des animaux
et des sols, svelte Azk. II, 215. ZARPAIL guenilleux
de ZARPA guenille, etc. Ce type de syntaxe nexiste
plus dans la langue qui dit plutôt, pour exprimer la valeur
du suffixe français /-âtre/ : BERDESKO,
ZURIXKA, GORRIXKA, etc., un petit peu vert, blanc,
etc... et le sens /-AIL/ tend à ne plus être
compris. Il ne létait plus dans le grec classique, semble-t-il
: κορἀλλιον,
κορἀλιον,
κουρἀλιον,
κωρἀλιον
(korallion... kōralion), sens : corail rouge, isis
nobilis ; passé au latin corallium,
cūralium. Le radical nest
pas plus compris que le suffixe : pour SCHRADER-NEHRING κόρη
αλος fille de la mer, pour
LEWY, Fremdwörter ..., 18 sq. de lhébreu
gorā petite pierre...
in Chtr.. 565. Bsq. GORRI est un radical verbal fléchi
de la désinence primaire /-i/,
comme HORI, ZURI, et se rattache sans doute à
la famille de gr. κείρω
(keirō) couper, qui est à la base de lat.
carō ; (th. I) tranche
de viande, de cruor, cruōris
chair saignante, avest. xrū
chair saignante, gr. att. κρέα
(kréa) viande (th. II), etc. Gr. κοράλιον
= GORRAIL.
Le suffixe /-XKO/-XKA/ ne nous livre pas son origine
: NEXKA fillette, PUXKA (lat. paucies)
miette, gr. χοιρισκος
(khoiriskos) porcelets
χοîρος
(khoȋros) porcelets/bsq. XERRI
et XERRIXKA id.. Cf. Lexique. Le français
corail rétablit a peu près la forme bsq. GORRAIL
tirant au rouge. |
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B
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Le matériel
morphologique « Le système
morphologique des langues indo-européennes anciennes se caractérise
par son exceptionnelle complexité » J. HAUDRY
op. cit., 22.
Une même forme peut recouvrir plusieurs signifiés successifs
ou alternatifs : par exemple, sous une même désinence
il peut y avoir le cas, le genre, le nombre (amalgame) dans les adjectifs
; ou une désinence /īda/
génitif ou nominatif pluriel (homonymie).
Dans l'euskera tel que nous le connaissons depuis le XVI ème
Siècle, les choses se présentent plus clairement en
matière de désinence, mais les dialectes du Sud tendent
à confondre au pluriel
l'ergatif
/-EK/ (/E/ marque de pluriel, /K/ désinence
d'ergatif) avec /-AK/, pluriel du cas sans désinence
(absolutif), du fait sans doute que /-K/ est le même
signifiant pour marquer l'ergatif aussi bien que le pluriel porté
par l'article /A/O/, seul pluralisé en /E-K/,
/E-RI/. L'indéfini singulier BAT, pluriel
BATZU absolutif pluriel indéfini ; BATZU (absolutif
à désinence zéro)
"quelques-uns", n'étant pas senti assez bien
marqué au pluriel
BATZUK, pluriel absolutif, ce qui entraîne la confusion
de cet absolutif avec l'ergatif BATZUK. Il est possible que
l'indo-européen, qui a eu le cas ergatif (A. MARTINET,
Évolution), l'ait perdu en partie, suivant un processus
comparable, ce qui l'amena à la nécessité de
réorganiser tout son système de déclinaison :
le cas à désinence zéro
devenant désinencé (accusatif), etc.
Il survit en euskera une conjugaison ancienne, limitée à
quelques verbes et défective,
dite synthétique, d'une grande complexité, à
amalgames et homonymies, qui pourrait peut-être évoquer
le système verbal très complexe de l'i.-e. et dont les
restes ont été conservés par le grec classique.
(cf. ci-dessous).
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1
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LE THÈME
Le thème est le radical
constitué de la racine et dune voyelle dite thématique
(e/o)
à laquelle sajoutent directement les désinences
casuelles pour les noms et les adjectifs ; les désinences
verbales pour les verbes. Lat. dominus
(
dominos), la racine est
/domin-/, la voyelle thématique
/o/ et la désinence
/s/. Dans le gr. luete,
la racine est /lu-/, la
voyelle thématique /e/
et la désinence /-te/.
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2 - |
LA DÉSINENCE
La désinence est un amalgame de plusieurs monèmes
successifs : Pour les formes nominales : cas, nombre,
genre (adjectifs). Pour les formes verbales : voix,
temps, aspect,
personne, nombre.
Dans l'euskera le verbe peut inclure les marqueurs de trois
participants au procès, au moins : le sujet, les patients,
les destinataires ; et d'un quatrième : l'allocutaire.
Un peu comme si les tours du français méridional
: "tu-te-me-la-manges cette soupe !" ou "je-te-le-lui
ai dit sans détour" se déclinaient en unique
forme verbale fléchie.
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Dans les formes verbales de
li.-e., la désinence fonctionne souvent comme
sous-morphe subordonné au morphe principal (augment,
redoublement, suffixe, infixe). Les désinences
verbales pronominales sont suffixées en i.-.e.
; dans leuskera elles sont préfixées
(médio passif), suffixées (voie dative).
Toutefois, il semble que lanalyse de la langue na
pas très clairement discerné certains de
ces sous-morphes, ni ne les a tous identifiés (auxiliaires,
augments). Pourtant quand AXULAR (XVIIè
S.) écrit : DAKIENAK BERRA que celui qui
sait parle, il semble bien avoir compris que ce
/BE-/ est en euskera un auxiliaire (devenir,
devoir) à usage impersonnel (personnel en
lat. amā-bō,
amā-bam). Dans
léventuel désidératif : LOAKE
pourrait aller, LIZATE il serait
impersonnel (en 3º personne seulement), le /L-/
est analysé, au moins par certains, comme issu
dun pronom de 3º personne, or cest un
auxiliaire LEHI/LEI vouloir, désirer,
comme en anglais will, can,
may, must : soit un auxiliaire modal, de la
même racine que will,
lat. uolō, gr.
lō, lei... vouloir
; ou bien AHAL/AL pouvoir, cf.
larchaïque ATLIOA ! sil
pouvait sen aller !. Aux 3º et 6º
personnes, qui nont pas de désinence pronominale
préfixée. Entravé ailleurs par les
désinences personnelles ?
Du reste, à la voie dite dative
où ces désinences sont postposées
(non comme pronoms agents,
mais comme pronoms patients)
ce /L/ apparaît dans tout le paradigme
de léventuel, preuve quil sagit
dune forme impersonnelle : LEZAUKE-T, LEZAUKE-K
(
/L/ + /U/ avoir maquillé
et auxilié par /IZ/ être)
: me laurait, me pourrait lavoir,
te pourrait lavoir. De même, dans
LIZAKE-T et LIZAKE-K (
/L/ + /IZ/ être) : il
me serait, il te serait, pourrait têtre,
etc. (Cf. ci-dessous).
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Quant aux désinences nominales, elles
proviennent en i.-e. d'anciennes post-positions : la post-position
affectant le groupe nominal tout entier en une seule fois.
Cf. véd. nāvya-sā
vācaḥ "avec une expression
nouvelle" équivalent à navyasā
vácasā où la désinence
d'instrumental /ā/
ne figure qu'une seule fois, comme la préposition
en français.
L'euskera conserve toujours ce type syntaxique, fondamental
dans la langue : OIHU BERRI HANDI BATEZ (/-Z/ instrumental)
"d'un nouveau grand cri/appel" (cf. lexique
OIHUKA/
gr. εὔχομαι
(eukhomai). On explique par une théorie qui veut
que le castillan aurait conservé des tours d'un
"fond ibérique", lorsqu'il aligne, par
exemple, "vigorosa, maravillosa
y heroica-mente" ; la suffixation
adverbiale de tout le groupe de qualificatifs se fait
sur la dernière forme de la série. |
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3 - |
LE RADICAL ET LA RACINE
Le radical est une des formes prises par la racine dans les
réalisations diverses des phrases. Cest le morphème
dun mot qui nest pas un suffixe et qui est lié
à un signifié.
La racine est la forme abstraite servant de base de représentation
à tous les radicaux qui en sont les manifestations :
la racine /ven/ venir
a deux radicaux, /ven/ et
/vien/, qui se réalisent
par ladjonction de désinences grammaticales, dans
venons, venait, vienne, etc. Bsq. /HO/JO/ EHUN,
EHAI, EHAILI.
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4 - |
L'ETUDE DE LA RACINE
Reproduction partielle [ ] du mémoire de DEA, A. ETCHAMENDY,
Indo-européen et basque, Bayonne 2001) |
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- LA THEORIE DE LA RACINE
(cf. E. BENVÉNISTE, Origine de la formation
des mots en indo-européen, 1935) «
Ce que lon a enseigné jusquici de la nature
et des modalités de la racine est, au vrai, un assemblage
hétéroclite de notions empiriques, de recettes
provisoires, de formes archaïques et récentes, le
tout dune irrégularité et dune complication
qui défient l'ordonnance. » E. BENVÉNISTE,
Origine, l47. Et l'auteur décline les caractérisations
diverses accumulées :
TYPES DE RACINES [*
indique que la racine est reconstituée] |
monossylabiques |
/*bher/
|
à voyelle initiale |
/*ar-/ |
dissylabiques |
/*gweye/ |
à voyelle finale |
/*po-/ |
bilitères |
/*do-/ |
à degré long |
/*sed-/ |
trilitères |
/*per/ |
à degré zéro
|
/*dhac-/ |
quadrilitères |
/*leuk-/ |
à diphtongue longue |
/*sreig/ |
quinquilitères |
/*sneigwh-/ |
à diphtongue brève
|
/*bheudh/
|
à voyelle intérieure
|
/*men-/ |
à suffixe ou élargissement,
etc. |
à diphtongue |
/*peik/ |
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A une macédoine de formes différant à travers
le temps et les langues. E. BENVÉNISTE a substitué
une théorie unique de la racine permettant de déchiffrer
la panoplie précédente. C'est cette théorie
que j'essaierai d'appliquer à l'euskara, porté
par l'hypothèse de travail que le basque participe à
la famille i.-e, conscient du risque d'impasse au vu des redoutables
noms qui ont conclu à l'isolement du basque, à
la théorie pré-indo-européenne, caucasique,
etc., et du risque de lynchage intellectuel auquel je m'expose
alors que je ne fais que balbutier dans l'art de la linguistique.
Mais qui ne risque rien n'a...
Voici les principales étapes de « L'esquisse d'une
théorie de la racine » de E. BENVÉNISTE
: (certains de ses aspects pourront être un jour revus
peut-être) :
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Distinguer suffixe et élargissement
d'après les formes :
- le suffixe a une forme alternante (-et/-t,
-en/-n, -ek/-k)
- l'élargissement a une forme fixe et consonantique
(/t/, /n/,
/k/), etc. |
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La découverte par F. de SAUSSURE
de la nature consonantique du phonème /ə/,
de façon à poser le principe que :
- /e/a/o/
(non apophonique
de /e/) = /ə1
+ e/
/e/ ; /ə2
+ e/
/a/ ; /ə3
+ e/
/o/, et
- /ē/a/o/
= /ə + ə1/
/ē/ ;
/ə + ə2/
/ā/ ; /ə
+ ə3/
/ō/
Ex. hittites dont le /h/
s'est révélé (J. KURYLOWICZ)
contenir deux des trois variétés de /ə/
i.e. (/ə1/
et /ə3/)
puis /ə2/
attesté aussi : il s'amuit devant voyelle, mais
produit /ɑ/ à
l'initiale devant consonne.
- /*ə1 es/
es-(zi)
il est ;
- /*ə1s-(onti)/
a-anzi ils
sont ;
La résolution des initiales et finales vocaliques
éclaire le véritable aspect des radicaux
i.-e. :
- /*ed/ manger
/ə1ed-/
/heed-/ ; cf. bsq.
JAT-/XAD- manger, mais /ed-/
dans EDOSKI têter et EDAN
boire
- /*ag-/
/*ə2eg-/
pousser
/haeg/ ; cf. bsq.
LAGA (/l/ sonnante) pousser,
mais AGINTE pouvoir
En pratique il y aurait deux catégories bien nettes
de voyelles longues :
- celles qui naissent d'une contraction préhistorique,
de nature purement phonétique.
- celles qui résultent de l'apophonie à
valeur morphologique et pouvant servir d'élargissement
ou de suffixe comme les sonantes (E. BENVÉNISTE,
Origines, 149).
Comme toute racine peut devenir dissyllabique par suffixation
il n'y a donc pas de vraie racine dissyllabique,
et toute racine est trilitère : CVC
en incluant laryngales et sonnantes. |
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Dégagement de deux thèmes
( I et II ) de toutes racines i.-e. À partir
du moment où l'identification des trois /ə/
est devenue possible dans la lecture des écrits
de différentes langues i.-e., identification que
l'on arriva à corroborer par des comparaisons avec
des langues i.-e. bien vivantes (au moins trois attestations),
il est possible de sortir de la confusion dans l'interprétation
des racines :
- La racine /*pō-/
boire ne peut alterner avec /*pā-/
ou /*pē-/ car
/*pō-/ repose
sur /*pə3 /=
peHo
/ō/, dépistage
réalisé en comparant les formes de plusieurs
langues. Cf. bsq. PE-GAR ?, cast. porrón
cruche. /GAR/ faire, produire.
- La racine /*bher-/
porter ne peut alterner avec /*bhed-/
ou /*bhes-/, etc.
On constate des alternances régulières telles
que :
- La racine /dei-/
ciel diurne suffixée par /w/
/déiw-/, état
I de la racine suffixée par /eu/
/dyéu-/, état
II de la racine.
- La racine /der-/
arbre, bouclier suffixée par /w/
/*dérw-/, état
I. suffixée par /eu/
/*dréu-/, état
II ; cf. DARTE/DURTO bois, maquis
de tauzins.
On constate que la racine au degré plein
(cest à dire avec voyelle) /*dei/
et /*der/, a un suffixe
à degré zéro
/w/. La racine à
degré zéro
(sans voyelle, soit /*dy-/
et /*dr-/) a un suffixe
plein /eu/. Et ce
jeu fonctionnerait régulièrement avec toutes
les racines.
Ex. lit. perù
implorer, etc. opposable au lat. precō
id. s'explique en partant de racine
/*per-/ avec suffixe
guttural, par le shème : I /*pér-k/,
II /*pr-ék.
(E. BENVÉNISTE, Origines, 150). Cf.
bsq PAR-KARI celui qui demande son
dû
/PAR/ mesure, équivalence. Le
sens premier est réclamation, exigée
par un signe (foudre, éclair) de la part dun
dieu frustré par les omissions de sacrifices attendus.
E. BENVENISTE conclut : « la racine
n'est pas quadrilitère, mais trilitère,
et l'élément /ə/
n'est ni constant ni caractéristique ; c’est
un suffixe comme tous les autres. La singularité
des racines “dissyllabiques” se résorbe
dans un système général où
toute racine peut figurer à condition d'être
munie d'un suffixe. » Origines, p. 152.
J. HAUDRY (L'indo-européen,
Puf), inverse les qualifications de thèmes : il
qualifie de plein
le degré zéro
(chute de la voyelle de la racine) thème II, p.
26 « ...certaines racines triphonématiques
ont des doublets biphonématiques : en face de /*pelH1-/*pleH1-/,
il existe quelques formes reposant sur /*pel-/,
comme avest. pərəna/porna
“plein”. De là provient l'idée
(et il cite E. BENVÉNISTE) que les racines
triphonématiques sont issues de plus anciennes
biphonématiques suffixées, /pel-H1-/pl-eH1-/,
et que des racines comme /*lewk-/deyk-/
ont eu à côté d'elles des “formes
pleines II” /**lwek-/,
/**dyek-/, etc.,
et qu'inversement une racine /*prek-/
“prier” est l'ancienne forme pleine II d'une
racine biforme /perk-/prek-/.
Dans cette perspective, ces racines peuvent être
considérées comme issues de plus anciennes
racines /*der-/*lew-/*dey-/*per-/,
qui auraient incorporé un ancien suffixe /-ka/
dont la valeur n'est pas déterminable. Les deux
formes peuvent coexister, ainsi /*ghew-/
(gr. χέω)
et /ghew-d/ (lat.
fundo) “verser”.
» op. cit. p. 26. Cf. bsq. HEDA
“étendre, répandre” et bsq.
EKUZ-I/IKHUZ-I “laver” et gr.
ἔχευσα
(ekheusa) aoriste tardif de χέω
(kheō) “verser”. Ces anciens suffixes
à “valeur non déterminable”
pourraient peut-être recevoir dans certains cas
un début d'interprétation en approfondissant
les comparaisons avec le basque, par exemple le fameux
« suffixe guttural » relevé par E.
BENVENISTE qui revient très souvent, particulière-ment
en grec, et face auquel le bascophone est tenté
de sentir le -/KA/ d'insistance, d'itération,
d'action, etc. tant du point de vue de la morphologie
que de la sémantique des formations, suffixe polyvalent
(OIHENART) permettant d'orienter une racine dans
plusieurs directions lexicales : verbe, adverbe, adjectif
y compris les inversions
de diathèse verbale.
Mais comme on l'a suggéré dans le cas de
/*perk-/*prek-/
(lat. precor) il
est possible que ce « suffixe guttural ait d'autres
sources » (cf. /*par-esko-/poscō/).
Plusieurs schémas ont été élaborés
pour expliquer les alternances radicales, th. I, th. II,
dans les langues i.-e. (bsq. /KAR-/fr. cri
; bsq. GILTZ/gr. κλεις
(kleis) “clé”, etc.), dont aucun ne
semble satisfaisant. Aujourd'hui on peut observer que
les enfants basques immergés d'abord dans le français
ont tendance à amuïr les voyelles en syllabes
non accentuées, par exemple BAKRIK pour
BAKARRIK “seulement”, devant syllabe
tonique finale. Certaine personne du nom de CHARRITON,
née à Paris, décline son nom CHARTON.
E. BENVENISTE explique pour sa part la réduction
du radical par l’addition d’élargissement
et de suffixes. Rien de tel en euskera où le radical
(forme non empruntée) est presque toujours plein. |
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- LA PREFIXATION « Il
est généralement admis que l'indo-européen
ne possédait pas de préfixes ». J. HAUDRY,
op. cit., p. 27. C'est aussi le cas du basque, cf. J.
B. ORPUSTAN, La langue basque au moyen-âge,
p. 145 et seq. « la suffixation : procédé
de dérivation exclusif en basque ». La préfixation
serait récente.
Mais des réserves ont été émises
pour l'i.-e., appuyées sur des exemples : /*nizdo/
"nid" implique le verbe /*ni-sed-/
"se poser", J. HAUDRY, op. cit., p.
27. On peut supposer que /ni/
était à l'origine séparé de /sed/,
mais il y a quand même univerbation
en pratique, soit formation d'un syntagme
dont les éléments de la chaîne sont soudés.
D'autre part, il semble bien que nombre de racines procèdent
d'anciens termes préfixés : des mots à
/s/ mobile comme /*(s)ten/
"gronder, tonner", gr. στένειν
(stenein), lat. tonare ;
fr. stentor. (J. HAUDRY,
op. cit., p. 27). Cf. /ORZ-/OS-/ "ciel"
OSKAR (/KAR/ "cri, son") "tonnerre"
divinisé, comme HODEI/HEDOI "dieu
producteur de l'orage".
Gr. σχύλος
(skulos) s/σχύλλω
(skhullō), Chtr. P. 1023, "dépouille d'un animal,
peau" et aussi "écorce de noix". Bsq.
OSKOL "enveloppe, carapace, armure, spathes de maïs,
etc." et en composition HATZ-AZKAL "ongle"
composé de /HATZ/ "extrémité
de membre", cf. HEGATZ "aileron, avant-toit,
etc." Et /AZKAL/AZKULI-A (S) "enveloppe,
écaille". Pour le premier terme /OS/OTS/,
on peut conjecturer HUTS "vide", soit "contenant
circulaire, sphérique, etc.", c'est à dire
"enveloppe", à noter d'ailleurs la structure
de ce mot de l'ancien français voloper
? Cf. bsq. HUTS/lat. uas
"vase", uastus
"dépeuplé". Or HUTS
HAURRI/HURRI "vide"
HARRO "aéré" /ERHO "fou,
fol".
Si donc OSKOL et σχύλος
sont des composés on est en droit d'être hésitant
sur l'absence ancienne de préfixation, tant dans les
langues i.-e. qu'en bsq. Toutefois, il faut reconnaître
que ces anciennes préfixations sont immotivées
pour les locuteurs même des temps anciens, qu'ils ne les
percevaient plus comme telles par rapport aux innombrables préfixations
historiques produites par le grec et le latin. De nos jours
l'EUSKARA BATUA "bsq. unifié", en s'officialisant,
s'est mis à produire des préfixations : AURREKONDU
"devis, budget prévisionnel", AURREIKUSI
"prévoir", etc., en calquant sur les langues
latines, tout comme le latin primitif des éleveurs de
breufs du Latium le fit sur le grec. Mais des formes anciennes
portent des préfixes ou des préverbes : ZA-PATU
"marcher dessus, presser, écraser", sur le
"modèle" de gr. διἀ-βαινω
(diabainō), E-ZA-GU-TU "connaître",
ZIRRINDU "devenir diarrhéique", E-KHUZI,
I-GURTZI, E-HORTZI, E-BILI, E-KUSI,
ERA-KATSI, etc. |
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- LA SUFFIXATION
(cf. J. B. ORPUSTAN, La langue basque au moyen-âge,
p. 245)
Il y a deux sortes de suffixation : suffixations flexionnelles
et suffixations dérivationnelles.
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LES SUFFIXES FLEXIONNELS
Ce sont des monèmes
exprimant les thèmes des conjugaisons régulières
qui s'adjoignent à un radical verbal pour moduler
le message verbal sous les rapports temporels, aspectuels,
modaux, de personnes de singulier et du pluriel et, dans
le cas de langues à ergatif, les rapports réciproques
des participants au procès.
Dans le nom i.-e. et bsq on peut parler de flexion de
comparatifs, superlatifs. En bsq., les jeux de palatalisation
des consonnes et de contre-palatisation sont des marqueurs
courants de gradation (taille, affectivité, dépréciation).
XIGARRETA AHUAN pour ZIGARRETA se dira pour
une personne petite ou trop jeune pour fumer, etc.
Mais pour la formation des féminins, des flexions
tardives étaient apparues en indo-européen
telle que πότνι
α (potnia) maîtresse,
cf. δέσποτνια
(despotnia) maîtresse de la maison,
skr. pàtnī
maîtresse, déesse. Ce féminin
veut dire épouse de, *pot-ni
épouse du maître, vīr-à-patnī
épouse du héros, et aussi quelquefois
de sexe féminin. (J. HAUDRY,
op. cit., p. 34)
Beaucoup d'adjectifs latins, védiques, etc. n'ont
pas de flexion de féminin. Cela tend à confirmer
l'impression que très anciennement il n'y avait
peut-être pas d'expression bien élaborée
(du moins en comparant les faits à nos réflexes
linguistiques) des genres et que le neutre
était (et pour le concept et pour la forme) le
terme normal. On a innové, semble-t-il, en posant
d'abord une distinction dans la langue entre les animés
et les inanimés, puis progressivement entre masculin
et féminin. Mais les flexions connaissent des imprécisions
et des flottements à peu près partout :
flexions de type féminin sur des neutres et même
formes de singuliers pour des pluriels, cf. τα
ζόα τρέχει
(ta zóa trekhéi) les animaux courent,
nom et déterminant avec flexion féminine
et de singulier, verbe au singulier pour une idée
de pluriel dans le sujet. (J. HAUDRY, L'indo-européen).
En basque, les genres sont inexistants, en général,
par rapport à leur profil dans les langues romanes
environnantes. Donc les confusions évoquées
ci-dessus aussi. Toutefois l'idée de féminin
n'est quand même pas absente dans la langue.
C'est dans le verbe qu'elle s'exprime très fortement,
dans les formes
tutoyées et l'allocutif qui est la forme la
plus familière et la plus populaire, elle s'y exprime
avec une précision si grande et si vivement sentie
par les locuteurs que c'est un des premiers et le plus
gros des barbarismes qui fait sursauter le bascophone
d'origine qui entend des fautes de genre chez les débutants
et les enfants. Le marqueur de féminin inséré
dans le verbe est une nasale /n/, comme dans gr.
πότνι-,
mais cette nasale i.-e. est une désinence de génitif
: gr. lukos loup
lukaina
louve ; bsq. ASTO âne
ASTAINA ânesse. La désinence
de génitif du bsq est /-EN/ (possessif).
En dehors du verbe, le genre se marque par des suffixes
dont : /-ANDA/ femelle pour le féminin
: OTS-ANDA louve, URD-ANDA truie,
HORR-ANDA chienne, OIL-ANDA
poularde, etc. Ce suffixe forme la base de
ANDERE dame, demoiselle, déesse
; et /-SA/ emprunté au latin,
mais l'emploi en est limite et plutôt trivial. (Cf.
Lexique HURRIXA.
On voit nettement le parallélisme de problématique
avec l'i.e. archaïque. Les flexions de nombre ne
sont pas non plus sans évoquer quelques analogies
: /e/ des pluriels bsq. ergatif, /æ/
sur /a/ dans la première
déclinaison des féminins latins pluriels,
le parallélisme bsq. /k/ et lat. /s/
des animés pluriels, GIZONAK,
homines « les
hommes ».
(cf. les désinences ... casuelles ci-dessous)
|
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LES SUFFIXES DERIVATIONNELS
Ce sont des morphèmes à fonction grammaticale
(noms d'agent, d'action, suffixe de diathèse,
de causatif) et à fonction sémantique (diminutif,
intensif, itératif, éventualité,
etc.). Ils sont des éléments intéressants
de comparaison entre le bsq. et les langues i.-e.
Les suffixes dérivationnels sont parfois d'anciens
léxèmes
: Les linguistes ont établi que fēmina
signifie “allaitante”. A. MEILLET,
Dictionnaire étymologique du latin, 223
s/fecundus : «
Une racine /*dhē-/
“têter, sucer, traire” est représentée
d'un bout à l'autre de l'i.-e. [...] Fēmina
est le reste d'un participe présent moyen d'un
présent radical /*dhë-/
et signifie littéralement “qui allaite”
(*). ». On a donc la racine /*dei-/
“sucer, traire”
gr. τιθήνη
(tithḗnē) “nourrice”, lat. filius,
felix, fr. fellation,
gr. θελυς
(thelus), etc., bsq. DEI-TZI “traire”
: DETELE
DITI-LE “têtant” = “veau
sous la mère” (pour les romanistes c'est
un emprunt au latin vitulus
“veau de l'année”, que les étymologistes
classiques expliquent par la racine de gr. (φ)ετος
“année”), mais bsq. EMAN(A)
“donner” + /-LE/, suffixe agentif (de
LEHI/LEI ?) sont bien des lexèmes
déverbatifs.
Mais le suffixe /-mina/-mna/,
très fréquent dans les langues i.-e., n’a
pu être interprété. P. CHANTRAINE,
Formation des noms en grec ancien, 1979, p. 214-216
: « /-meno/
a fourni au grec et à l’indo-iranien un participe
moyen. ». Suit une liste hétéroclite
de termes en /-meno/-mn-/μα/μνε/
et se termine par un rébus. Mais de cette même
racine /*dei-/,
cf. bsq.
/DITI/TITI/ “têton” +
/EMAN/ “donner”, soit DIT/TIT-EMAN
“allaitante”
*dhētmena fēmina
“allaitante”. /*Hed-/
“manger”, bsq. EDOSKI “sucer,
téter”.
Les suffixes dérivationnels peuvent être
issus également de la réfection d'anciens
suffixes, par fausse coupe, agglutination de suffixes
de même valeur. On renouvelle souvent les dérivations
par dérivations secondaires : la formation secondaire
est remise en relation avec la base de sa base.
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------
(*) Pour la forme, cf.
lat. alumnus (op.
cit., 23 s/ alo,
-ere “nourrir”)
: “nourrisson”, et “nourricier”
tardivement, d'où alimentum
“aliment, nourriture” ; cf. bsq. ALA-EMAN
"mettre à la pâture". |
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- L'INFIXAION : ADDITION D’UN /n/
A L'INTERIEUR DU MOT
Il a sans doute plusieurs origines : désinence de génitif,
dinessif,
de gérondif, de post-position de relatif (DU-AN),
post-position de subordination (DEZAT-AN).
On la trouve sur les auxikiaires : DU il a
DU-AN/DUN qui a DA-AN
DAN/DEN qui est. Dans le verbe TUN-KA-TU
heurter de TAL-KA-TU heurter,
Τύχιος
(Tukhios), nom du forgeron qui forgea le bouclier d'Ajax (Hom.),
gr. τυγχανω
(tukhanō) jatteints. Bsq. /TUN-/DUN-/ZUN-/,
cf. ZUNKA-TU/ZANKA-TU = donner
des coups
/JO/HO/ + /N/ gérondif, suffixé
/-KA/ ditération, daction répétée
ZUNKATU donner des coups de muffle dit du
veau qui tête, ZANKATU saillir, copuler,
enfoncer (un piquet) à coups redoublés ;
cf. lat. (Sēmo)
Sancus dieu de la fécondité.
La racine devait comporter une laryngale : /HO-N/
(?) suggérée par bsq. EHUN frapper,
battre, moudre, tisser, etc., EHAIN, EHO
tuer, moudre, tisser. Pour ce dernier sens, il sagirait
de la première phase qui consiste à battre le
lin et la laine avant filage. Cf. lat. funus,
gr. φονίος
(phoníos) funéraille et meurtrier
du verbe θείνω
(theinō) frapper, où lon trouve
linfixe nasal.
Les linguistes continuent à débattre de son origine
et de sa fonction exactes. Pour un bascophone familier de la
désinence d'inessif /n/ a plusieurs
fonctions : situation spatio-temporelle, aspect d'infectum
de verbes d'action, d'état, etc., cet infixe ne pose
pas de problème dinterprétation : KILIN-KAN
en balance, NAGOENO tant que je demeure,
etc. |
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5 - |
APPLICATION
PRATIQUE À L'EUSKARA DE LA MÉTHODE DE E. BENVÉNISTE
DE DÉGAGEMENT DE LA RACINE
E.
BENVENISTE (Origine de la formation
des noms en i.-e.,
chap. X, p. 147 à 173 « Esquisse d'une théorie
de la racine », 1937)
définit les thèmes I et II :
|
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Comme toute racine est suffixable, et comme on trouve /ə/e/
collée à la racine (en apparence), on a cru (F.
de SAUSSURE) que cet élément faisait partie
de la racine et on a longtemps noté /*gweyə/,
/*terə/ qu'il faut
donc corriger par /*gwey-ə1-/,
/*ter -ə2/.
Le thème verbal i.-e. se caractérise
donc par la coexistence des états I et II (E. BENVÉNISTE,
Origine, 152). La racine ne peut recevoir
qu'un suffixe, et donc le thème verbal n'aura jamais
qu'un suffixe et un élargissement.
Soit la racine /*wer-/,
à la base dune vaste famille, et le suffixe /g/
on a I /*wer-g/,
II /*wr-eg/.
Avec élargissement /w/
ou /y/ on aura /*wr-ég-w-/,
/*wr-ég-y/, mais
on ne trouve pas de thème verbal /wr-eg-en-/,
/wer-eg-ei-/. [/*wer-g/
gr. ἔργον
(ergon) travail ]
Donc une racine à l'état II à degré
zéro admet un seul
élément additionnel en plus du suffixe à
degré plein pour former le thème verbal. (E.
BENVÉNISTE, id. 153).
A l'état I, la racine au degré plein n'admet qu'un
suffixe au degré zéro,
et pas d'élargissement car celui-ci est toujours au degré
zéro et on ne trouve
jamais deux degrés zéro
consécutifs ; tout autre suffixe (degré plein)
n'est pas davantage admis puisque la tranche morphologique de
trois éléments n'admet qu'un seul au degré
plein. En conséquence « un thème à
l'état I n'admet pas d'élargissement ; seul l'état
II en comporte ». Ceci pour tout radical verbal.
Tout ceci, nous le rapportons afin dessayer de bien mettre
en lumière les clés d'analyse que BENVÉNISTE
a posées et sans lesquelles la suite de notre travail
ne serait pas compréhensible pour le lecteur.
Quand, dans une langue n'apparaissent attestées que des
racines en un seul état (I ou II), il est ainsi possible
de poser l'état absent ou maquillé
par la langue comme hypothèse de recherche, ce qui ouvre
des perspectives inattendues pour le décryptage des formations,
soit dans la langue qui en est dépourvue, soit dans d'autres
langues, détectant éventuellement des réseaux
de relations inaperçues jusque là.
Quelques exemples :
On prend l'exemple d'une « onomatopée » KILINKAN
(absent de Azk., TOVAR & AGUD), KULUNKAN
en balance Lh. 632 ; autre forme KINKIRINAN
(BN), et KILIN-KALAN (Azk.). Les deux premières
formes signifient qui est en équilibre instable,
imminemment prêt à tomber, la troisième
signifie, selon Azkue démarche cahin caha.
La forme de l'expression indique qu'elle comporte un syntagme
: KIL-I-N-KA-N, en partant
d'une lecture de droite à gauche on a :
- /N/ innessif ? locatif ? un état ou action en
cours, aspect d'infectum .
- /KA/ morphème d'itératif, d'intensif,
d'action, d'état... un large spectre possible.
- /N/ de nouveau : il semble qu'il y ait surdéclinaison,
c'est une forme d'inessif,
- /I/ ? de thématisation : un suffixe qui colle
le thème verbal à la racine KIL
- /KIL/ racine probable et à degré plein
état I, comme cela semble être l'occurrence ordinaire
en bsq.
On imaginera un état II, en suivant bien les principes
de E. BENVÉNISTE : état II /kl-i-/,
on ajoute le /n/ et l'on
obtient /klin/, à
quoi on peut encore ajouter une voyelle
thématique /ye/yo/
et une désinence pronominale de 1º personne /o/
/oo/ō/
gr. κλῑνω
(klinō) faire pencher, incliner, appuyer, coucher,
etc ; cf. fr. clinique
; aoriste actif ἔχλινα
(eklina) (Hom. ion.-att.) ; aoriste passif ἔχλιθην,
ἔχλἰνθην
(ekhlithēn, ekhlinthēn), etc. On voit par là
ce que la conjugaison dite forte en bsq.
a pu produire de développement dans le verbe grec.
Ceci est un jeu. « Le présent en /*ye/*yo/
est une innovation grecque dune forme /*kli-n-eə2-
mi/ » Chtr. 544. Le composé bsq. GILTZ
fermeture, clé /gr. κλεἰς
barre, verrou, bsq. SEIL barrière
à claire voie, gr. κλεἰσιον
(kleision) appenti, barraque fait de planches inclinées
appuyées au mur de la maison (abri de nuit des esclaves)...
peuvent dériver de ce /*KIL-/*KUL-/.
Il y a le terme /KIKIL-/, cf. les expressions
couramment entendue dans des déclarations : EZ GARA KIKILDUKO
MADRIDEN AUREAN ! nous ne nous courberons pas devant Madrid
! ou INDARKERIAK EZ GAITU KIKILDU ERAZIKO ! la
violence ne nous fera pas céder ! Azk. : KIKILDU
se recroqueviller, mais il prend en contexte le
sens clair de (se) courber, se soumettre.
Or, avec un autre vocalisme nous avons KULUNKAN en
suspens etc., et KULUNKA grosses sonnailles
portées par les vaches en estive. Structure du
mot semblable à celle de KILINKAN, l'élargissement
/u/ s'aligne sur le timbre de la voyelle du radical par
dilation, on retrouve le fameux infixe nasal
des linguistes autorisés /n/ qui pour nous exprime
l'infectum, le /KA/ multidirectionnel et qui ici
exprime l'état, le /n/ final de forme inessive.
Alors /KIL/KUL/ ? On peut, sans trop de risque,
poser les équations :
- /KIL/ = /KIR/ (cf. KINKIRINAN, redoublement
d'intensité comme dans KIKIL)
- /KUL/ = /KUR/GUR/ (cf. KUNKUZ,
KUNKUR, KONKOR voussé, bossu,
etc.).
Les formes /KUR-/KOR-/KU-/KO-/ (KORKOIL
archi-voûté) se retrouvent dans KARAKOL
escargot, MAKUR/MAKOL tordu,
recourbé (bâton) et l'inévitable MAKIL-A
et MAKULLU (dialectes occid.), lat. baculum
(immotivé) réputé à l'origine de
l'équivalent basque pour les romanistes.Revenons à
A. MEILLET, Dictionnaire étymologique du latin,
64 : « le nom grec βἀκτρον,
-κτηαρια
(baktron, -ktēaria) du bâton de la canne
livre un radical /*bak-/,
de type populaire en i. -e ; avec son /b/
et son /a/, et qui se retrouve
avec /k/ géminé,
dans irl. bacc bâton
recourbé ; dans baculum,
il y a un suffixe de nom d'instrument comme en grec. La géminée
attestée dans lat. baccillum
[MAKULLU en bsq.) rappelle la forme irlandaise ; mot
populaire ».
Or, les mots MAKIL, MAKOL, MAKUR, etc.,
sont décomposables sans le secours de l'irl. bacc,
du lat. diminutif : baccillum,
etc., de la manière suivante :
Ø |
AMU/HAMU d'après Azk.
hameçon, vrille, effectivement nous
avons entendu cette acception à Hasparren notamment
; elle existe. Mais ce n'est pas la seule : AMU
signifie canne à pêche, la hampe
de l'instrument, à peu près dans tout le
Nord du Pays Basque. Il y a une autre signification encore,
en thème verbal, AMU-TZEN «
tendance à fléchir ». Enfin, le terme
se trouve en composition comme deuxième terme sur
racines à significations botaniques claires ; plantes
pourvues de longues tiges : ZU(R)HAMU, terme
générique de « arbre » (B.
DETCHEPARE : « ZUHAMUIAK ODOLEZ IZERDI
: les arbres transpiraient de sang » ) ; ZUME
qui semble résulter d'une contraction de la forme
précédente, osier.
Lat. culmus, gr. κἀλαμη
(kalamē) chaume, paille notamment des
céréales. En effet, GARI froment
et en général céréale,
en composition fait KAL/GAL-(H)AMU,
cf. ἀλπι
(alpi) gruau d'orge surtout, amuissement de
la gutturale initiale remplacée par //
sur /α/, cf.
bsq. GARAGAR orge, GALBAHE crible
/GARI/ + /BAHE/ “toile”
“crible, van”. |
Ø |
En définitive le bsq., thème
I, (H)AMU signifie tige, fût,
etc., et bsq. (H)MAKUR, (H)MAKOL
avec chute ou réduction de la laryngale
initiale résulterait de l'état II d'un /eə2m-/
(HAM(U)/HAB-) état I,
affecté du suffixe /u/ + /GUR/KUL/,
soit tige recourbée alias la
canne, la crosse symbole du pasteur.
Il s'agit d'un outil indispensable du berger : une longue
hampe, comportant actuellement un crochet métallique
léger et souple (Californie, Nevada, Arizona...)
permettant d'attraper une bête par une des pattes
arrières d'un geste adroit et rapide, l'animal
est ainsi immédiatement immobilisé en vue
de soins, d'inspection de gravidité, etc. |
Ø |
Certes, on pourra objecter que peut-être
le phonème /m/ est moderne en phonétique
bsq. Lat. baculum
témoignerait dans ce sens, mais cela nous semble
peu probable tant sont nombreuses les concordances phonétiques
en /m/ en bsq. actuel et en langues i.-e. anciennes.
Et le /m/ est une sonante, cf. (H)ERA/(J)OAN/ERAMAN
porter, emporter, etc.. Mais bsq. HABE
existe poteau, longue tige, poutre, arc boutant,
pilier, colonne Lh. 395 ZUTOIN/ZUTABE.
(Cf. lexique) |
Ø |
Cette série montre
bien que tant les racines, suffixes, élargissements
et modalités de composition sont superposables
en basque, gréco-latin et autres langues i.-e.
D'autres exemples ne manqueront pas de le démontrer
dans la suite de ce travail. |
Luis NUÑEZ ASTRAIN, El euskera arcaico,
2003, résume le point de vue récent des linguistes
basques dEspagne sur la structure des mots en bsq : les
vieux verbes bsq. auraient une structure monosyllabique si on
leur ôte le préfixe /e/ et le suffixe de
participe /i/ : E-KARR-I traer,
E-SER-I sentarse, I-PIN-I poner,
E-TORR-I venir, E-GIN hacer,
I-RAUN durar. p. 217.
Pour Joseba A. LAKARRA, rapporté par ASTRAIN,
à une étape antérieure au proto-euskera
(décrit par MICHELENA) et que lon dénomme
pré-proto-euskera, la racine des noms et des adjectifs
serait aussi monosyllabique, comme celle des verbes du proto-euskera.
« El paso de esos nombres y adjectivos
monosilábicos del pre-proto-euskera a los bisilábicos
del proto-euskera se habría producido mediante procesos
de composición, reduplicación y otros que mencionaremos
».
Le type proposé par J. A. LAKARRA, CVC, pour les
anciennes racines basques, est aussi celui que nous croyons
pertinent, autant pour les racines actuelles que celles du basque
ancien. Lanalyse lexicale dévoile les mêmes
racines en bsq. et en i.-e., avec la caractéristique
de la racine pleine, th. I, en basque ; et plutôt la caractéristique
réduite, th. II, -mais pas toujours- pour la structure
des formes i.-e. Et lorsquune racine semble ne révéler
que deux lettres, commencer ou se terminer par une voyelle,
il faut chercher la laryngale ou la sonante, qui sest
amuïe, en explorant la famille de mots dont semble participer
lélément énigmatique.
Si on a une racine basque thème II réduite
(suivant la définition quen donne E. BENVÉNISTE,
mais non J. HAUDRY), il sagit probablement dun
emprunt. Leuskera semble partager avec le mycénien
cette préférence pour les racines pleines. |
|
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6 - |
LES ALTERNANCES ET L'ACCENT
La racine, élément lexical nu
ou monème, dont lanalyse ne peut aller
plus loin, évolue : elle peut être réinterprétée,
faire lobjet de fausse coupe, de construction, dagglutination.
Lat. /can-/ de căno
je chante pourrait résulter de
la contraction dun composé, si on veut le comparer
au bsq. /ZIN-K/ you-you qui
procède de ZAR-INGA/XAR-ANGA
ZAUNKA
XAINGA
ZINK (dans ZINKURINA pleurnicher)
; M. 94 semble lui attribuer une racine /*kone/o/,
en effet il y a got. hana
coq, gr. καναχη
(kanakhē) “bruit”, èpithète gr.
du coq ἐι κανος
(ei kanos) “celui qui chante de bonne heure” (*),
et irl. cechan /lat. cĕcĭnī
(*) Le Robert,
Dictionnaire historique de la langue française,
éd. 1998, T I, 699, s/CHANTER
Et que penser de la racine /*cō(n)/
ou /*kwon-/ (M.
92) de chien du lat. cānēs,
cānis (voisinant avec
la forme plus commune cănis,
cănis) et gr. κὐων,
κυνος
(kuōn, kunos), à la lumière du basque /ZAUNK-/
gros aboiementet de /XAING/ jappement,
de larm. skund (métathèse
?) petit chien
? A. MEILLET conclut larticle
canis tout de même par cette précision
: « toutes les hypothèses quon peut tenter
pour rendre compte de lat. can-
sont arbitraires. Mais le rappro-chement de canis
avec le groupe sûrement i.-e. de gr. κὐων
nest pas rendu douteux par là ».
Une racine peut incorporer un affixe quelconque, un préfixe :
le préfixé lat. *po-sĭno
/pos/ derrière
+ /sĭno/ laisser,
cest-à-dire laisser là, laisser à
lécart, enfin poser et pondre :
*po-sĭno
poznō
pōno, qui, compris
comme verbe simple donnera /ante-/,
/ap-/ (ad-),
/circum-/, /com-/
+ /pōno/. Mais
/sĭno/
ne livre pas son secret étymologique. Ayant lacception
de abandonner aussi, on se hasardera à évoquer
bsq. USATU/UXATU écarter, éloigner
de /*OS/*US/ arrière ï
OSTIKO ruade ; compte tenu de la signification
de lat. poste/bsq. OSTE
derrière, arrière, en arrière,
*po-sinō
serait une forme intensive par redondance ?
Il en va du même de l’ancien dérivé
inchoatif
*pr̥k-skō
lat. posco, pŏposci, -ēre
(porc -sco, proc -us, prec -or)
“demander” (comme un droit ou une chose due), perdent
le contact avec prec-
“prières”. Cf. bsq. PARKA/PARKARI
“qui revendique son dû”, qui fait que l’ancienne
racine serait déjà une racine /PAR/
(cf. “parité”, “pareil”),
suffixée /-KA/,
prec-. Quand à
la forme lat. /skō/
elle évoque bsq. /ESKA-/ “solliciter,
demander”.
La racine se définissant uniquement par ses consonnes,
il en est de même des autres unités morphologiques :
suffixes, désinences casuelles. Mais lindo-européen
connaît pour un même morphème des alternances
surtout vocaliques : suffixe /*-tey/*-ti/,
/*-new/-nu/.
Bsq. augment
/EN/IN/ : N-EN-TORR-EN je
venais et N-IN-TZAR-EN (NINTZADEN/NINTZEN
) jétais. Une même racine décline
parfois en basque avec /a/ (BIZ-KAR épine
dorsale), /e/ (XERRA tranche), /u/
(EGUR), /o/ (GORRI rouge, GOR-DIN
cru). Des homologues : lat. carō,
-nis morceau de viande,
gr κεἰρω
(keirō) couper , gr. κοûρος
(kouros) bûche(s) coupée(s), lat. corium
peau/bsq. BILUTS GORRI, LARRU GORRI
entièrement nu, bsq. GORPITZ et pruss.
kermens corps,
etc.
La racine basque /*GAR-/ tête, sommet, hauteur
GARKOLA nuque, GARAI en haut,
au dessus de, GORA haut, élevé,
GEREIÑO étalon, GIRI
bon pour la monte, oestrus, etc. Cf. gr κἀρᾱ
(karā) tête, nycén. qoukara
tête de buf, gr κορυφἠ
(koruphē) sommet, extrémité,
κόρυς
(korus) casque et toute la famille (korunē,
korumbos, korudos) rapprochés de κερας
(keras) corne qui dérive de la même
racine que karā tête,
E. BENVÉNISTE, Origines, 32. Il y aurait
en i.-e quatre degrés dalternance, cinq pour certains :
plein/réduit/fléchi/long/qualitatif.
Il y a aussi des alternances consonantiques : occlusive
davant et darrière, labiales et dentales
(dhētmna
fēmina) sourdes et
sonores, /r/ et/l/,
/w/ et /m/ ;
dorsales et aspirées, etc., en i.-e et en bsq. Le plus
souvent aux sourdes à linitiale des langues i.-e.,
le basque répond par des sonores : gr. κρἐας
(kreas), skr. kravis viande
et bsq. HARAGI avec, comme fréquemment, lopposition
th. I bsq./th. II i.-e. Entre dialectes du basque : Garazi
HOLA/zaraitz KOLA ainsi; HEBEN/KEBEN
ici.
Mais, pour li.-e., les spécialistes ny voient
pas « dalternance consonantique véritable
». (J. HAUDRY, op. cit., 28).
Des explications ont été tentées sur lorigine
et la signification de ces alternances :
|
allongement de voyelle consécutif
à la chute dun /*s/
et/ou après un /s/
précédent, ou encore après une sonante, |
|
des changements phonétiques
antérieurs à la fin de la période
commune des groupes i.-e. Ceci pourrait éclairer
certaines similitudes de formes en bsq. et en indo-iranien :
bsq. GIRI monte/skr. gı̊ri-sravã
torrent de montagne ; bsq. ZURRUT
jet/skr. srutá
qui coule, lit. srûtos
purin, urine des animaux, v. russe strumenǐ
torrent, Chtr. 971, s/ῥἐω
couler. |
|
La présence de laccent
affaiblit le timbre vocalique, puis entraîne lamuïssement
de la voyelle précédant la syllabe tonique,
comme latteste lévolution des langues
germaniques. Ceci expliquerait les phénomènes
de réduction vocalique. Or laccent nest
jamais noté dans les textes anciens, on le déduit
de la métrique, de la prosodie, etc. Il est tributaire
de lexpressivité, en partie, et celle-ci
est en relation avec des facteurs socio-linguistiques
et métalinguistiques : à la période
impériale triomphante du latin correspondrait (M.
GINGRAS, Université de Montréal) une
élocution scandée fortement accentuée.
Aux périodes sombres de ruine et danarchie
correspondrait une tendance moins tonique du discours
|
|
Les réductions vocaliques
de leuskera (Ronkal, Garazi, Saraitzu) semblent
correspondre aux zones précocement en contact avec
les parlers romans, et laccentuation forte du souletin
conforte linfluence probable du roman. |
Dans le parler familier, mais également dans le discours
emphatique aussi parfois, laccent peut servir à
masquer la subordination avec élision des relateurs grammaticaux
:
LANIK EZ
JÁNIK EZ
! Pas de travail (pas de rendement)
pas à
manger !.
Ce type de construction répond au souci dêtre
percutant dans largumentaire :
|
XUE ARTEKIN GATUIK ETXIN BEIRATUKO (intonation
neutre) avec tes pièges on ne (pourra) plus
conserver de chats ; |
|
ZEE ? NIK ARTIAN ZIEN GATIA HATZEMAN ? (ton
de la litote) quoi? Moi, jaurais pris (au
piège) votre chat ; |
|
ZÁNGOTIK ! HATZEMAN XINDIEN
XURI TA BELTZA-REE La patte (arrière) !
tu avais coincé au Blanc et Noir aussi. |
Ce phénomène de subordination par laccent
se percevrait bien dans les textes des langues i-e (hittite)
anciennes. |
|
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|
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