INTRODUCTION
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E.
BENVENISTE, dans la préface de sa thèse Origines
de la Formation des mots en indo-européen (1935), disait déjà
: |
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« l’effort considérable et méritoire
qui a été employé à la description des formes n’a été suivi d’aucune
tentative sérieuse pour les interpréter. Là est sans doute la cause
principale du malaise actuel de la grammaire comparée : si la recherche
proprement contemporaine tend à s’éparpiller en travaux de plus en
plus menus, c’est qu’elle a oublié les questions fondamentales ; et,
si bien des linguistes se détournent de la comparaison, c'est pour
s’être laissés à croire que l’on n’avait plus de choix qu’entre le
connu et l’inconnaissable ». |
Nombre de contributions à la bascologie donnent cette même
impression. Notre essai de comparaison voudrait apporter des éléments
susceptibles de questionner les hypothèses en cours sur l’euskera
face aux autres langues d’Europe. De notre point de vue, la description
de l’euskera, telle que nous la trouvons dans les différents
documents analysés, est incomplète et comporte des méprises.
Les “spécificités” supposées de l’euskera
(ergatif,
agglutination, défaut de genres, système du verbe...) sont
celles de l’indo-européen reconstruit. Quant au “stock
morphologique
basque” irréductible, il est introuvable.
1- |
LA
THEORIE INDO-EUROPEENNE
Un peu plus d’une centaine de langues d’Europe et d’Asie,
les unes éteintes et beaucoup vivantes, apparentées
toutes entre elles, procéderaient d’une même langue-mère
“d’avant la séparation” de divers
groupes humains, formant autant de peuples qui se seraient répandus
à travers l’Eurasie, balayant la totalité des
langues préexistantes, dites de substrat pré-indo-européen,
à l’exception notable de l’euskera.
Ces « petits groupes de chefs », comme
les qualifient A. MEILLET, auraient submergé tous les
peuples de l’Asie à l’Atlantique et de la Scandinavie
à la Méditerranée, imposant leur domination militaire,
leurs langues et leurs institutions politiques et religieuses à
des civilisations en avance sur eux, « au moins sur le plan
matériel. » (A. MEILLET). Ce dernier croit reconnaître
dans les langues indo-européennes la part de vocabulaire «
noble », « aristocratique
» à caractère « notionnel,
abstrait, général » et celle qui aurait
survécu des langues des vaincus, technique-ment plus
civilisés, un ensemble de termes « instables
», « affectifs », « techniques
» et pour tout dire « populaires ».
L’euskera et la basquitude auraient survécu
à ce déferlement.
Rappelons que les savants ne sont pas d’accord sur le berceau
de formation de ces « petits groupes de chefs ».
Que l’archéologie, qui a pu suivre à la trace,
par exemple, la progression des colons paysans proche-orientaux remontant
les bassins des fleuves européens débouchant sur la
Mer Noire, se déclare incapable de confirmer les théories
indo-européanisantes de ces remarquables conquérants.
Faute de preuve... Quant aux critères de “noblesse”
ou de “vulgarité” détectables dans
les langues, il semble bien qu’il s’agisse de notions
opératoires du XIXe siècle, de projections
dans le passé de cadres de pensée anachroniques. Il
faudra bien qu’un jour se départage la part de mythe
et de l’épopée, d’un côté,
et celle de l’Histoire, de l’autre, comme l’ont
fait Israël FINKELSTEIN et Neil Asher SILBERMAN
avec la Bible dévoilée et les Rois sacrés
de la Bible. |
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2- |
L'ISOLEMENT
DE L'EUSKARA
La comparaison de l'euskara avec des familles de langues, notamment
les langues indo-européennes, nous paraît bloquée
par les éléments suivants : |
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A. |
Une langue
isolée, orpheline, sans parenté connue ...
... dont on ne peut rien tirer, disait A. MEILLET, Linguistique
Historique et Linguistique Générale p. 95-96 : « il y a
des langues qui étant entourées des langues d’une autre famille
et paraissant être des débris isolés d’une autre famille disparue,
ne se laissent pas grouper avec des langues voisines et ne rappellent
même aucune langue connue. Leur système grammatical n’offre
de concordances précises avec aucun autre idiome ou du
moins n’en signale-t-on pas (c’est nous qui soulignons)
: C’est le cas du basque. » Antoine MEILLET,
le fondateur de la méthode comparative, posant ce verdict on
ne s’étonnera pas que des générations de bascologues aient souscrit
à la thèse qui confirmait leurs propres impressions. |
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B. |
Impressions
fondées, pensons-nous, sur une description incomplète
de l’euskera ...
... et aussi sur des analyses timorées et très sommaires.
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Ne lit–on pas que le
/ b-/ de BEDI “soit” ou de BIHOA “qu’il s’en
aille”, etc., pourrait être une désinence
pronominale de troisième personne ? |
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De même,
pour le /l-/ de LIZATE “il serait” ou de
LU-/LUKE “s’il avait” et “il pourrait avoir” ? |
Alors que, dans les deux cas il s’agit de verbes auxiliaires
: BE/BI = latin fiat,
gr φυομαι
(phuomai), anglais to be,
germanique biat, etc. ;
/L-/LEI/ = LEHI/LEI “vouloir, désirer”, auxiliaire
de prospectif et désidératif, = grec λῶ,
λῃ (lō,
lēi), etc., anglais will
ou bien AHAL “pouvoir”.
 |
Ou encore R. LAFON,
Système du verbe basque au XVIème siècle,
qui voit dans JARRAITU EKION “il le suivit” un auxiliaire
/DI-/ à préfixe zéro
(p. 389), dans EMON LEGIAN qu’il traduit “qu’il le donnât”
(Subjonctif imparfait prospectif du passé avec auxiliaire)
- correct -, mais “il le donna, il l’avait donné“ - erronés.
Ailleurs, DADIZULA, dialectal “(bien) vous fasse” lui
fait découvrir un verbe “faire” /DI-/ qu’il fallait lire
DAGIZULA. |
La “reconstruction” de l’Euskera semble déjà entamée
au XVIème S. par les écrivains eux-mêmes, et au XXème
Siècle on l’a continuée, en jouant parfois à Colin-Maillard.
DETCHEPARE : AMA EMAZTE LUYEN ALA EZ NAHI NUQUE GALDATU,
traduit “je voudrais demander s’il avait pour mère une femme”
au lieu de “... s’il eut ...”, LUYEN est pour (UKAN)
LU(KE)IEN
-L1 -U2 -KE3
-I4 -AN5
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(1) /L/ potentiel,
(2) /U/ avoir,
(3) /KE/ potentiel,
(4) /I/ (OI) qui est particule de phrase-morphème
de subjonctif (cf. NAHIZ HOAIEN SPANIATIK URRUN
- chant mexicain) “aunque te
vayas lejos de España” /iota grec λύῃς,
λύῃ
(luēis, luēi) “que tu délies, qu’il délie...”,
τιμᾳ̑
(timȃi) “ce qu’il honore ”, ποιῃ̑
(poiēi) “qu’il fasse”, etc.
(5) /AN/ conjonctif de subordination, en
basque postposé, antéposé ailleurs, grec /ἄν/
(an) « particule modale qui s’observe dans les propositions
principales et subordonnées, mais originalement avec les
modes, c'est-à-dire le subjonctif, l’optatif ». P.
CHANTRAINE 82. /κε/
ou /κᾱ/
(ke, kā) chez Homère, en arcadien, etc. |
Toutefois R. LAFON après SCHUCHARDT frôle
parfois, pensons nous, la cible réelle, p. 41, sous le titre
“ La ou les voyelles qui précèdent la racine
” : « Lorsqu’une racine commence par une voyelle …/e/
au premier groupe (de verbe) chez DETCHEPARE ; chez LIÇARRAGUE
/a/ aux deux groupes… p 420 : « il est impossible, dans
l’état actuel de nos connaissances de déterminer quelle a été
la signification primitive de toutes les voyelles qui précèdent
la racine. Ce qui caractérise une forme c'est l’aspect et la
place des affixes
personnels qui y figurent, non la présence d’une certaine voyelle
avant la racine. » R. LAFON a effectivement
raison pour l’état de connaissances : au XVIème et
aujourd’hui aussi ; ajoutons que cette voyelle est facultative,
le père de l’auteur (1898-1978) l’éludait le plus souvent, ce
qui est le cas de l’augment
chez Homère.
R. LAFON, TII, 7, cite SCHUCHARDT : « il
reste douteux qu’on doive la comparer à l’augment des langues
aryennes et par suite la considérer comme un adverbe signifiant
“autrefois” ». C’est justement ce qui ressort au long du présent
travail, de la comparaison externe : NENBILEN “je circulais”
de EBIL-I à comparer à l’aoriste
grec ἔπλε
(eple), thème
II, de thème I πέλω
(pelō) “se mouvoir” qui en est le sens ancien, Chtr. 877,
presque uniquement à l’aoriste... NENBILEN
-N1 -EN2 -BIL3 -EN4
:
|
(1) /N(I)/ désinence pronom
1ère personne,
(2) /EN/ adverbe de temps (cf. ENGOITIK
“désormais”),
(3) /BIL/
/*we/ol-/“tourner”,
(4) /EN/ “alors” deuxième édition ; à comparer
à gr ἔλυον
(eluon), imparfait “je déliais”
*en-luo-en ; gr. ἔδυν
(edun) aoriste 2º “je me suis enfoncé” ; ἔγνων
(egnōn) “je connus”, etc. |
Bsq. IGURZI “oindre”, th. I, et aoriste grec ἔχρῖσα
(ekhrīsa), th. II, de χρίω
(khriō) “oindre”. Cf. lit. gr
(i)ejù,
griēti, “écrémer le
lait”, pour Chtr 1277 « formes germaniques très éloignées pour
le sens, Frisk », mais pour les bascophones serrent d’assez
près le sens : GORHI, GURI ”mantequilla,
beurre” matière qui servait pour oindre, hors de l’aire de l’olivier.
En fait la grammaire historique du basque ne fait que balbutier
; quant à l’étude de la structure des formes, des “tabous” éliminent
toute velléité de comparaison hors des langues romanes, tout
débat buttant sur le couperet de l’emprunt. |
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|
C. |
« Une
langue de bric et de broc »
Une célèbre plaisanterie de P. LAFITTE,
grammairien du basque, professeur de grec, ce qui signifiait
sans doute qu’il en avait l’impression d’un habit d’Arlequin,
mais toutes les langues sont des vieilles robes rapiécées.
L’euskera, réputé langue pré-indo-européenne
avec des caractéristiques strictement différentes
des langues de cette famille est cependant créditée
d’une quantité considérable de termes indo-européens
: 50% selon Luis NUÑEZ ASTRAIN, El Euskera
arcaico 2004, qui ne fait que rapporter le point de vue
de linguistes basques contemporains, 80% du vocabulaire selon
les linguistes espagnols. Soit une submersion par l’arrivée
supposée massive des locuteurs de langues indo-européennes,
ce que, soit dit au passage, n’a pu être vérifié
par l’archéologie, science adulte et réaliste.
Ces présupposés sont compréhensibles du
fait de la résonance gigantesque de l’Empire romain et
aussi, peut-être, par l’influence des constructions théoriques
d’un Georges DUMÉZIL et d’autres, organisant,
présentant des guerriers sans pareil en capacités
d’asservissement et d’assimilation, relevant des mythes de prédestination
plus que de l’Histoire.
N’étant ni archéologue ni historien, nous nous
en tiendrons, sauf brèves parenthèses, à
l’analyse grammaticale et lexicale de l’euskera par reconstruction
interne et externe. Ceci nous vaudra la découverte d’
“emprunts” au sanscrit de l’Inde (skr.), à l’avestique
de l’Iran (avest.), aux
langues slaves (sl.) et baltes, aux langues germaniques (ger.),
sans oublier le hittite
(hit.) éteint voilà vingt quatre siècles,
sans parler des formes
grecques (gr.) et mycéniennes (mycén.) et,
évidemment, latines (lat.) même archaïques
et bien antérieures aux formes romanes entourant l’aire
historique de l’euskera.
Il semble souvent difficile de trancher entre emprunts et formations
parallèles ou héritées d’une même
origine, à s’en tenir aux formes. De grands noms de la
linguistique, Pierre CHANTRAINE, Émile BENVÉNISTE,
Antoine MEILLET, etc., ne parviennent pas toujours à
déterminer la direction de l’emprunt dans des langues
aussi bien analysées que le sont la grecque et la latine.
Pour l’Euskera, très incomplètement décrit,
et n’ayant pas fait l’objet d’une analyse étymologique
systématique : comparaison morphème
à morphème des formes avec leurs présumés
homologues extérieurs, recoupée matériellement
par les correspondances des
signifiés, il semble exclu de pouvoir décréter
avec sérieux la certitude de tous les “emprunts”. Certes,
très nombreux, c’est inévitablement normal, comme
dans toutes les langues, mais pas toujours probables car on
relève la présence des formes indo-européennes
absentes dans le latin.
Au XIXè siècle, les chercheurs qui
ont abordé l'euskera y ont détecté des
traits "exotiques" qui les ont déroutés,
tels, par exemple, que : l'ergatif,
l'absence de genre, le prédicat
nominal très étendu,
la pluralité des marqueurs
des participants au procès, et, enfin, une
morphologie et un fonds de vocabulaire sentis
différents.
Une description incomplète et parfois fantaisiste de
l'euskera, stimulés par l'atmosphère de romantisme
de l'époque, va contribuer à orienter des chercheurs
ne connaissant pas vraiment l'euskera et pourvus d'un appareil
conceptuel de linguistique largement débutant, dans des
directions échevelées. Il a été
précocement convenu qu'il était inutile de chercher
du côté des langues indo-européennes, à
quelques exceptions près : J. Augustin
CHAHO, dans la Revue du Midi, 1833, le Journal
de la Société Asiatique, 1834, l'Histoire
primitive des Euskariens-Basques, tente des comparaisons
avec le sanskrit. Ses rapprochements ne seraient pas concluants
: « De telles comparaisons posent un problème essentiel,
à savoir quel serait le rôle joué par des
contacts éventuels entre Indo-Européens et Basques
à haute époque. C'est en ce sens, et en ce sens
seulement, qu'il n'est pas dénué de fondement
d'entreprendre une certaine comparaison du basque et du sanscrit.
En revanche, une comparaison visant à établir
une parenté génétique directe basco-indo-européenne
est sans espoir. Les rapprochements établis par un A.
Chaho, voire un H. de Charencey ne sont pas concluants. Bladé
les cite en partie (pp. 69/70) et les critique d'ailleurs assez
sévèrement. De nombreux termes sont déformés
au recopiage ou mal recopiés, d'autres ne sont identiques
que parce qu'ils relèvent d'universaux que nous avons
à plusieurs reprises mis en relief : ama,
ata, et ainsi de suite.
Ceux qui restent valables appartiennent donc probablement à
un fonds commun du même type que celui qui a donné
le slave reka et le basque
erreka, ou encore le basque
negu "hiver"
qui dérive peut-être d'un prototype *snegw-
"neige" familier aux indo-européanistes. Comment
s'étonner dès lors qu'un Uhlenbeck évoque
en 1940 des "résonances indo-européennes
en basque" (Indogermanische Anklänge im Baskischen)
comme nous le rappelle à nouveau J. Allières.
» M. MORVAN, Origines linguistiques du basque,
44.
Cet auteur poursuit, cependant, en concluant à partir
des « "résonances indo-européennes"
du basque [...] ou bien on a parlé indo-européen
en Europe de l'Ouest antérieurement aux Celtes, ou bien
les porteurs d'une des strates formant la langue basque ont
nécessairement fréquenté des Indo-Européens
ailleurs que dans cette partie du monde, c'est-à-dire
en Europe de l'Est cette fois. [...] En tout cas il y a un
problème linguistique. » (nous soulignons).
L'Abbé J. ESPAGNOLLE, dans l'Origine des Basques,
1900, les fait descendre d'Abraham par l'intermédiaire
des Lacédémoniens (grecs doriens établis
en Laconie, Péloponnèse central) :
Exposé des spécificités phonétiques
du grec de Lacédémone (pp. 42, 43) ;
Petit dictionnaire gréco-ibérique d'environ
huit cents mots, qui « avec leurs dérivés
se montent à plusieurs milliers. »
Cependant, sa méthode n'est pas fiable :
« BEGI "oeil"
gr. πήγι-ον
"coin de l'oeil" et par extension l'il tout
entier ; πέγιον
dérivant de πήγνυμι
a le sens de matière humide et cristalline,
le /p/ et le /b/
permutent. ». Or gr. πήγνυμι
(pḗgnumi) signifie "planter, fixer" et "rendre
solide geler, coaguler" ; gr. πηγας
(pēgas) "gelée, gel, froid" et πηγίον
(pēgion) "source" à étymologie
discutée.
BETULE "cil" que
J. ESPAGNOLLE traduit par fr. "paupière"
« mot composé de /BE-/, abrégé
de BEGI, il, et de gr. τυλη
"peau", c'est à dire "la peau de l'oeil".
BETULE est la peau qui couvre l'il. » Il
s'avère que :
1°
2° |
dans les composés,
BEGI s'abrège en /BET-/ (BETEINA,
BETESPAL, BETONDO, BETARROSA). Il
y a déjà une fausse coupe, le /T/
est phonétique. Le deuxième terme /ULE/
"poil, cheveu", "laine" (B) ; cf.
bsq. ILE, angl. whool,
lat. lana, etc. BETULE
signifie "cil" et non "paupière"
;
gr. τυλη
(tulē) a le sens de "bosse, cal, bourrelet"
et non de "peau". |
Le reste du travail de J. ESPAGNOLLE est marqué
par le même genre d'approximations, encore que nous n'ayons
pas contrôlé les huit cents formes qu'il prétend
traiter. Pour sa part M. MORVAN, opus cité,
45, note à son sujet : « Certes on pense à
des termes comme bsq. argi
"lumière, clair" et gr. argos
"brillant" ou encore au nom de l'ours, bsq. (h)artz,
que l'on peut rapprocher du grec arktos
"id.". Il faut sans doute y voir des emprunts, et
peut-être bien d'ailleurs autant des emprunts au celtique
qu'au grec, voire à des formes d'indo-européen
plus anciennes, comme le laisserait supposer par ex. le prénom
ou surnom basque Garcia
qui signifierait "ours", comme Ochoa
signifie "loup". En revanche, les équivalences
de l'Abbé Espagnolle ne peuvent satisfaire personne.
Faire provenir bsq. emazte
"femme, épouse" du grec demasté,
damasté "dompter" (sic) relève
de la plus haute fantaisie. »
D'autres chercheurs ont plus ou moins travaillé dans
la même direction en essayant de rapprocher le basque
du celtique : Wilhelm von Humboldt, La Tour d'Auvergne, J. B.
Darricarrère, J. Lemoine, F. Castro Guisasola, G. Lacombe,
R. Lafon, sans trop de conviction et sans conclusion nette.
Pour M. MORVAN, opus cité, 45, les travaux
sur l'hypothèse basco-indo-européenne seront restés
sans suite au XXè siècle, sauf de la
part de « quelques "ultras" tels un J.
Lemoine ou un Castro Guisasola. » Soulignant néanmoins
l'existence « de quelques liens linguistiques entre le
basque et l'indo-européen » il renvoie leur étude
« dans le cadre des études supra-familiales (théorie
du Nostratique...). »
Nous voilà donc à notre tour parmi les "ultras"
de la comparaison de l'euskera avec les langues indo-européennes,
portant sur la grammaire et le vocabulaire : |
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« L'étude
comparative de l'euskera aux langues indo-européennes
n'a jamais été faite, par personne
» ... |
lettre |
personnelle de J.
HAUDRY ... qui ajoutait comme
viatique ... |
|
|
 |
« je
doute que vous puissiez y arriver. » |
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3- |
LE
PROBLEME DE LA DIACHRONIE
Les langues connaissent au cours du temps : des altérations
phonétiques, des modifications morphologiques et
sémantiques.
Or notre euskera est celui du XXè siècle,
tel qu'on le parle actuellement, avec, certes quelques données
de la langue de la Renaissance, des éléments d'onomastiques
médiévaux, du protobasque aquitain et, tout récemment
quelques bribes de textes des IIIè-IVè
siècles (Iruña-Veleia).
L'autre terme de comparaison est le vocabulaire et la grammaire des
langues indo-européennes dans leur état essentiellement
ancien, puisque nous utilisons comme porte d'accès les travaux
sur le grec et le latin classiques (Dictionnaires de A. MEILLET
et P. CHANTRAINE ; Grammaire grecque de J. ALLARD et
E. FEUILLÂTRE ; Grammaire latine de J. GAILLARD
et J. COUSTEIX). Peut-on comparer des langues saisies à
des époques que près de deux millénaires sépareraient
théoriquement ? Pour répondre au défi, il faut
:
|
d'une
part, connaître ou supposer le profil de l'évolution
des deux groupes. Ce profil est, en effet, connu pour le latin
qui se développe depuis le VIIè siècle
avant J. C. jusqu'au VIIIè siècle après
J. C., et qui, après une longue période de relative
stabilité, s'effondre pour laisser place aux langues
qui en dérivent et ont évolué à
grande allure à la dissolution de l'Empire (invasions
barbares). Le grec peut-être suivi depuis les textes mycéniens
(proto-grec) depuis 1.300 avant J. C. jusqu'à nos jours
et fait montre d'une stabilité remarquable, mais non
sans évolution. |
|
d'autre part, évaluer le
rythme probable de ces évolutions par comparaison interne,
dans chaque langue, des états successifs que révèleraient
les documents (grec, latin) ou qu'une reconstruction prudente
mettrait à jour (pour le basque pour lequel nous ne disposons
que de traces de documents). |
Ces rythmes d'évolution ne sont pas réguliers au cours
de l'histoire d'une langue (facteurs métalinguistiques)
ni d'une langue à l'autre.
|
Les
créoles d'Afrique et des Amériques issus
des bouleversements dus à la colonisation et au trafic
des esclaves ; ces parlers refabriqués par des personnes
desserties de leur ethnie sont des langues "vertes"
évoluant très rapidement. |
|
Le
latin, langue d'un minuscule groupe d'éleveurs-paysans,
barbares belliqueux placés sur le "Pont" entre
l'Italie étrusque et l'Italie du Sud, de civilisation
gréco-phénicienne, urbaine, est le laboratoire
d'une puissante fermentation linguistique dès le IVè
siècle avant J. C. L'Empire, qui va brasser les peuples
de l'Occident et s'annexer l'immense aire hellénistique,
très évoluée, contribuera à l'explosion
de la langue latine. |
|
L'euskera
n'a jamais cessé d'évoluer, à preuve les
diverses strates morpho-syntaxiques
que l'analyse y décèle, mais son rythme ne semble
pas avoir connu d'accélération comparable à
celles qui ont provoqué ailleurs les épopées
grecque et romaine. |
|
Un parler comme l'euskera
n'a survécu que pour autant qu'il n'a pas été
supplanté, et ce n'est pas une lapalissade : que sait-on
du gaulois ou de l'aquitanique et de leur éventuelle
évolution ? Ils ne nous sont parvenus que sous forme
de français et de gascon... |
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4- |
LA
PHONETIQUE
L'évolution phonétique de plusieurs langues indo-européennes
est connue : latin, grec, sanskrit, arménien, albanais, groupe
germanique. Mais l'arménien et l'albanais n'ont été
identifiés comme indo-européens qu'au XXè
siècle. Et le hittite, éteint au IVè
siècle avant J. C. n'a été déchiffré
qu'au XXè siècle, de même que le tokharien
A et B, le mycénien. On a pu quand même comparer toutes
ces langues entre elles malgré des inconnues phonétiques
(les schwa,
les laryngales
et même les sonnantes).
Pour l'euskera, heureusement langue bien vivante, L. MICHELENA
a pu en décrire la phonétique historique en grande partie,
en partant de l'aquitanique et jusqu'à nos jours. Lui-même
et ses disciples, dont Joaquín GORROCHATEGUI et Joseba
LAKARRA, ont tiré au clair les correspon-dances phonétiques
avec le latin, puis avec les langues romanes notamment, appuyées
sur des dates. Ce qui atteste de la remarquable stabilité du
système phonétique basque sur longue durée :
emprunts latins conservant la phonétique latine d'époque,
emprunts romans ayant gardé la phonétique des
époques romanes.
Ce trait de l'euskera pourrait se trouver confirmé par les
études sur les ostraca
d'Iruña Veleia dont de brèves informations ont pu filtrer
dans la presse, à ce jour.
En définitive, il semble qu'on doive pouvoir comparer des formes
de l'euskera du XXè siècle avec des formes
correspondantes des langues indo-européennes de l'époque
classique, avec prudence. Et cette comparaison externe éclaire
bien souvent la langue actuelle et son fonds supposé "mystérieux"
: qui se doute du contenu sémantique de basque ARETXE
"veau" ? Du composé XAKUR/TXAKUR "chien"
? De BEHOR "jument", BIZAR "barbe",
KRIXKA "caprin de deux ans", etc., sans la comparaison
externe ?
L'exercice permet de dégager des jeux de correspondances phonétiques
et morpho-syntaxiques. Basque ARETXE/AHATZE
?
sanskrit vat-s-á
latin uacca
castillan vaca, français
vache, sens originel "génisse
primipare"
; basque HOR "chien" (ARTZAN-HOR, IHIZ-HOR)
?
sanskrit pasu-haurva "qui
garde le bétail", grec οὑρος
"gardien, protecteur"
ὀικουρος
= ETXEK-HOR "gardien de la maison", etc. |
|
|
5- |
LA
COMPARABILITE
Les comparatistes des langues indo-européennes rapprochent
des formes d'attestations chronologiques différentes. Le hittite
avait disparu avant que le latin n'eût un embryon de littérature,
le gotique du IIè siècle est bien comparé
à l'allemand, le français du XXè siècle
à la Chanson de Roland du début du XIIè
siècle.
Les rapprochements peuvent s'envisager sous condition de tenir compte
:
|
des correspondances
et corrections phonétiques (L. MICHELENA) ; |
|
du sens
des évolutions morphologiques
révélé par les doublets d'un même
signifié
par exemple, bâtis sur base identique, et grâce
à la comparaison externe ; |
|
de la variété des
réalisations d'une même racine au sein d'une famille
de signifiants qui en dérive : le rapport morphologique
commun dans (H)OREIN "cervidé", AR(H)AN/K(H)ARAN
"prune", *K(H)ARAN-DOR/XUAN-DOR
"cornouiller mâle", GARKOLA "nuque",
KARHEZUR "crâne", KRIXKA "caprin
de deux ans"... et gr. keras,
lat. cornū, got. haurn,
skr. çr̥ngam,
lat. cerebrum, gr. korus,
lat. cerasus... gr. αἰγοκέρως
(aigokerōs) = lat. capricornus
= bsq. AKER. |
|
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6- |
LES
METHODES DE TRAVAIL
Pour la comparaison grammaticale, nous avons suivi pas à pas
le plan de l'ouvrage L'Indo-Européen de J. HAUDRY,
1979, Université de Lyon, traitant de l'indo-européen
reconstruit, d'un côté, et la Grammaire basque de P.
LAFITTE, principalement, pour ce qui concerne l'euskera.
Pour le vocabulaire, nous avons appliqué :
 |
la méthode exposée
par E. BENVENISTE au chapitre IX, Esquisse d'une théorie
de la Racine, de sa thèse de doctorat, Origines
de la Formation des noms en indo-européen (1935),
pour essayer de dégager les racines des noms basques. |
 |
la méthode comparative
d'A. MEILLET et A. ERNOUT, où les auteurs
visent, après de prestigieux prédécesseurs
:
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à "confirmer" les étymologies
certaines ou fortement probables des mots latins apparentés
aux langues indo-européennes. |
|
Des mots qui n'auraient en commun que la
racine avec des mots d'autres langues ne font l'objet
que de rapprochements (p. VIII), par exemple, mention
du rapprochement de latin fōns,
fontis avec sanskrit
dhanvati "il
court, il coule rapidement", c'est que le /f/
initial de latin admet des origines multiples, que la
concordance ne s'étend pas au-delà de la
racine, et que la ressemblance de sens est vague et générale.
|
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Par contre, « si le rapprochement
de pecu avec fihu
du vieux haut allemand et paçu
du védique satisfait, c'est qu'il ne saurait être
fortuit que trois mots concordent à ce point pour
la forme, le genre, la
structure, l'emploi.
Ils constituent donc un seul et même mot. » |
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A. |
Matériel
formel et homologie structurale
L’analyse mettra en lumière des formes de l’euskera souvent
reconnaissables comme telles, mais pas toujours, et qui sont
construites avec le même matériel morphologique
et grammatical que celui des langues indo-européennes,
mais avec des “options” architecturales originales. Pour notre
part, nous nous limitons à parler de rapprochement et
de correspondance possibles ou hypothétiques :
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Exemple
I : Grec ζυγία
(zugia) “érable” face au basque (G)AZTIGAR
“érable”. Où est la comparabilité
? gr. zugia
zugon “joug”que l’on
taillait dans le bois très dur de l’érable.
Cf. gr. zeuk-tēr
“qui unit”, lat. iungō,
hitt. iugan, skr. yugá
“joug” formes qui comportent
/*dwis/bi/
“deux” + /gan/ = bsq.
/GAN/ = “cum”
= “avec”.
L’on a bsq. BIKOITZ “double”, BIKUN “paire”
(B)UZTAR-I “joug”
(G)AZTI-GAR “érable”
/(G)AZTI/ “joug” + /GAR/ “faire, produire,
créer” = “(bois pour) faire les jougs”,
thème I, et lat. thème II creāre.
Cf. ZINGAR
“porc
/ZINK/ “cri” + /GAR/ “faire, produire,
créer” = “le criard” ; MINGAR
“piquant”, etc. |
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Exemple
II :
Est-il possible de comparer basque ZINGAR “viande
de porc, porc” et sanskrit sūkará
“porc”?
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Grec ὗς
(huus), ὗος
(huos) “sanglier”, “laie”, “porc, truie”, lat. sūs,
ombr. sī,
avest. hūš…,
formes onomatopées de l’expression d’alarme
chez les suidés : un youff
prolongé d’un fort soufflement (cf. arabe
al ouf), cf.
bsq. HUU !, HUE !, adressé
aux porcs que l’on pousse devant soi ou que l’on
veut chasser des champs de maïs où ils
ont pénétré par effraction. |
|
Nous avons
donc skr. sūkará
“porc”/bsq. /ZIN(K)/ “cri” + /GARRA/
= “porc”. La deuxième forme est la même.
On peut noter le final du skr., qui rappelle le
déterminant basque /A/ postposé
dans les deux langues. L’article, si c’en est un,
réputé de création récente,
remonterait à la fin du néolithique
moyen, époque approximative de la domestication
du porc et des attelages de bœufs (-3500/-2500 ?
Histoire de la France rurale. G. DUBBY
et A. WALLON [sous la direction de]). |
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Exemple
III : basque ARETXE/AHATZE “veau
de l’année”, rapproché non directement
du latin uacca “vache”
(A. MEILLET, 711), mais de sanskrit vat-s-á
? “veau”, “animal de l’année”
(P. CHANTRAINE, 383) du nom-racine /*wet-/
“année” + /s/
(génitif) + /a/
(article défini pronom
anaphorique enclitique) ; grec ϝέτος
“année en cours”, latin uitulus
“veau” ; nous en effectuons la comparaison
avec le basque :
|
malgré
la double forme du mot basque (ARETX/AHATZ)
qui peuvent s’expliquer par la double forme
du mot “année” : /JAZ-/
“l’an passé” (cf. grec
περυσ-ι
“id”), et /UR-TE/ “année”,
ou épenthèse
du /H/ ; |
|
malgré la désinence
indo-européenne /s/
de génitif
que n’a pas ou n’a plus l’euskera
qui a la sifflante
à l’instrumental
moderne et au sociatif
/GAZ/. |
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Exemple
IV : basque BERETER/BERATER “enfant
de chœur”, BELATER “prêtre”
(Codex
Calixtinus, XIIè siècle),
officiellement dérivant du latin presbyter
emprunté au grec, mais que nous rapprochons de
ombrien ars-fertur
“prêtre”, sanskrit pra-bhartar,
avestique fra-bərətar
“prêtre” ou “qui porte des objets
sacrés” ; cf. lat. fero,
ferre, gr. φἐρω
(pherō), bsq. EROAN “porter, emporter”.
Racine indo-européenne supposée /*bher-/
“porter” ; cf. AHUR,
BIHAR,
LAPHUR,
etc. |
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|
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B. |
Raisons
d'hésiter dans l'évaluation de l'emprunt et de l'héritage commun
La détermination des emprunts nous pose un problème
difficile à résoudre.
Les distances spatio-temporelles, présumées résolues
face au latin et aux langues romanes, semblent constituer des
contraintes insurmontables quand on rapproche :
|
basque BERETER
de l’avestique bərətar
“prêtre” ; |
|
basque AIHEN “cep
de vigne, clématite” et hittite wı̊yana
et grec ϝοῖνος
“vin”, que MEILLET, 738, résout
par « il s’agit d’un mot méditerranéen
»... |
|
basque NABA “dépression,
vallon, vallée” de avestique nā́ba
“nombril”, vieux haut allemand naba
“moyeu” à côté de nabalo
“nombril”. |
Des ressemblances pièges, mais tout ce qui brille n’est
pas or :
|
basque TETELE/DETELE
“veau sous la mère”, acception non
rapportée par AZKUE et LHANDE, et
qu’il est tentant de rapprocher de latin uitulus...
mais qui dérive de DETI/TITI “mamelle”,
dérivant lui-même de la racine /JAT-/
“manger”
/DEIT-/ “sucer, traire”, cf. grec εδω
et latin edesse
“manger”, gotique itan
“manger” ; le suffixe basque /-LE/
à rapprocher de celui indo-européen /-lo/ro/
d’agent. |
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/*dhetmena/
latin femina “qui
allaite”, grec τίτθη
“nourrice” et τιθηνη,
-να “femme
qui élève un enfant”. |
Autres exemples :
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Français
vite rapide, rapidement,
sans étymologie et à lorigine du bsq.
FITE. Vrai, évidemment. Mais AIUT/AIUTA,
basque de toute évidence (BN) rapide, vitesse,
contestation violente, remontrance brutale, AIUTATU
chasser, mettre à la porte, expulser,
élan, furie, énergie extrême
et indo-européen ayu
énergie vitale, véd. ā́yuḥ,
génitif
ā́yusaḥ
force vitale, yavaētāt-
“perpetuitās, arm. emprunt à
liranien yawēt
toujours et le persan javēd
éternel, M. 14, bsq. BETI
toujours (eu/au
B), lat. aētas
âge, temps à vivre/bsq.
actuel ADIN
/*AY/ + /DIN/ ?, litt. qui est en
durée ; lat. *iuuien
quon trouve dans iuvenis,
où lon peut voir une désinence dinessif-locatif
temporel identique à la désinence de
leuskera, jeune/bsq. ADINEAN
dans (la force de) lâge = jeune,
ADINETARATU atteindre la majorité. |
 |
Les noms
du père, en indo-européen,
sont intéressants comme ceux de frère,
grand-père, etc. Sujet redoutable : les noms
de parenté sont considérés décisifs
par les grands linguistes pour présumer de lexistence
de liens génétiques entre les langues. C'est
la forme atta,
grec atta
qui se trouve (Chtr. 865) à la base de lat. pater,
gr πατήρ
(patēr), skr. pitār,
avest. pitar-, osq.
patir-, v. irl. athir,
germ.-got. fadar
(mais le mot usuel est atta,
Chtr. 865, M. 488), v.h.a. fater,
tokh.
A. pācar, tokh
B pācer, «
le slave et le hittite ont des mots tout différents
de type familier (atta)
», Chtr. 865. Le mot atta,
bsq. AITA est quasi universel, mais nexplique
pas pater
qui constitue une énigme pour les étymologistes,
pourtant daccord sur sa base atta,
papa :
cest le suffixe /ter/tor/tar/
qui pose problème. E. BENVÉNISTE,
Institutions indo-européennes, 1, 209 :
« de tous les termes de parenté, la forme
la mieux assurée est le nom du père [
].
Deux seulement de ces formes sécartent du
modèle commun : en irl. et en arm. Il y a eu altération
(nous soulignons) du /p/
initial. En tokh. Le /ā/
de pācar ne représente
pas une longue ancienne ; et le /c/
(= /ts/) continue
le /t/ indo-européen
palatalisé
[
] hitt. atta
répond à lat. atta,
gr. ἄττα,
got. atta, v. sl.
otǐcǐ (forme
dérivée de atta,
issue de *at(t)ikos
[bsq AITAXI et ATTITTO ne contredisent pas
ces formes]. Cest une chance de connaître
atta en hitt. car
lécriture en idéogrammes masque la
forme phonétique de la plupart des termes de parenté
: seuls père et mère
grand-père sont écrits en clair
; nous ne connaissons ni fils, ni fille,
ni femme, ni frère, exclusivement
notés en idéogrammes. » E.
BENVÉNISTE op. cit. 110, continue
« En gothique en réalité, le nom du
père est partout atta.
De fadar nous avons
une seule attestation, Gal. IV, 6, où un vocatif
ἀϐϐα ὁ
πατηρ abba !
Père ! ; ἀϐϐα,
forme araméenne [
] est traduit abba
fadar. Le traducteur, ayant voulu éviter,
semble-t-il, abba atta,
reprend le vieux mot usuel dans les autres dialectes germaniques
et qui a laissé en got. même le dérivé
fadrein
lignée, parents. Partout ailleurs le
grec patḗr est
rendu par atta [
]
À quoi tient que pəter
napparaît pas en hitt. ni en vieux slave ?
[
]. Le terme *pəter
est prégnant dans lemploi mythologique. Il
est la qualification permanente du Dieu suprême
des indo-européens ». En effet, Jūpiter
/*dyen pəter/ ciel
père Diēspiter/véd.
dyauhụ pitā.
Ici, signalons que bsq. HODAI/ODEI : 1º
nuage ; 2º tonnerre, est
signalé par les travaux de J.
M. BARANDIARAN comme une entité
divine de lorage (à côté et
fils de Mari/Ameia, divinité chtonienne)
en position subalterne par rapport à ORTZI/URTZI
ciel, dieu mâle fécondeur
de la terre, père violent et suprême. Ce
nom comporte lélément /UR-/OR-/
eau, mâle
/EURI/URI/ pluie à rapprocher
de skr. varsa̍
pluie et de grec οὐρανός,
dor. ὠρανός
(Ouranos, Oranos) ciel et dieu, fils
et époux de Gaia
terre skr. Varuna-.
Le bsq. URTZI désigne Dieu au XIIème
siècle encore, cf. Codex Calixtinus, et
continue de désigner encore lorage, la foudre,
le tonnerre. Bsq. GAIA matière
(
mater
mère) et Terre
/EL-GE/ terre de labour.
En grec dorien, un vocatif dorigine illyrienne reprend
ce nom : Deipáturos.
E. BENVÉNISTE. op. cit.,
110. Ce linguiste pense que *pəter
ne désigne pas père au sens
personnel, mais père au sens universel.
« ce père personnel est atta
seul représenté en hitt., en got., en sl.
Si dans ces langues le terme ancien *pəter
a été supplanté par atta
cest que *pəter
était dabord terme classificatoire
».
Pour E. BENVÉNISTE, « atta
fait partie des termes familiers
», à preuve on le trouve dans ces langues
diverses et « non apparentées, en sumérien,
en basque, en turc, etc. [
] atta
doit être le père nourricier, celui qui élève
lenfant [
] là où seul [il] est
en usage , il ne reste pas trace de lancienne mythologie
où régnait un dieu père
».
|
 |
Traitement
du nom de la mère : i.-e
/māter/, skr.
mātar. gr.
μήτηρ
mḗter, v.
irl. mathir. v.h.a.
muotar, etc., à
la p. 212 E. BENVÉNISTE constate
: « les noms du père et de la mère
sont de formation symétrique ; ils comportent
une même finale en /ter/
qui sest constituée en suffixe caractéristique
des noms de parenté et qui ultérieurement
a été étendue en plusieurs langues
à lensemble de la famille ». À
la page 255, il revient sur ce suffixe /ter/
ou /er/ «
suffixe de parenté par excellence
*pəter,
*mātēr,
*dhugh(ə)ter,
*brāter, qui
ne sont plus analysables ».
Comparaison de *pəter
/bsq. AITOR /AITUN :
La forme AITOR prête souvent à confusion
quant à sa formation et à sa signification
; sa “création” reviendrait à
J. Augustin CHAHO dans son ouvrage La Légende
d’Aitor (1845) à partir de la forme
AITUN/AITON ; il y fait du personnage
qu’il dénomme ainsi l’ancêtre
mythique des basques. Il semblerait que AZKUE,
I, 20, s’en soit fait l’écho dans
le premier sens qu’il attribue au mot AITOR
: « patriarca legendario de Euskalerria, que
se supone haber sido padre de siete hijas que representan
las siete regiones del país : patriarche
légendaire d’Euskalerria, qu’on suppose
avoir été le père de sept filles
représentant les sept régions du pays
».
La forme AITOR est cependant attestée
bien antérieurement en composition chez Arnaud
d’OIHENART, Proverbes et poésies
basques (1657-1664), éd. Izpegi, p. 251
: AITORALABA “una hidalga, mujer noble”.
Par ailleurs, l’auteur de ces lignes garde en
mémoire les récits de son père
rapportant les expressions amusantes d’un certain
ELIZONDO († probablement début des
années 1940), originaire d’Orbaizeta et
marié à la maison Sokarroa de Saint-Jean-Le-Vieux,
vitupérant sur ses fils, auxquels il reprochait
de trop fréquenter les foires : « MOTIKO
ZAR HORRIEK AITO-REN SEMEAK BEZELA FEIRAZ
FEIRA, TA AITATXI ZARRA BAKARIK LARRIN OTHEPAITEN :
ces garnements comme les aristos de foire en foire,
et le vieux grand-père tout seul dans la lande
à faucher l’ajonc [destiné à
la litière du bétail] ».
Il y a donc lieu de ne pas confondre le nom (propre)
d’un personnage de fiction littéraire tiré
d’une forme, attestée bien antérieurement,
et dont l’usage, comme nom commun, paraît
avoir été largement répandu, avec
la forme elle-même.
Dans le parler moderne AITOR conserve les sens
de :
1° |
«
patriarca, en general
: patriarche, en général = ¿se
habrá originado de errata, de
AITON ? Viendrait-il d’une faute,
de AITON ? [...] » Azk., op. cit.,
20. |
2° |
AITOREN SEME en Garazi, AITUNEN
SEME en Xibero : “noble”, “de
lignée noble” ; AITORALABA “femme
noble” A. OIHENART.
On a donc AITOR- et AITUN, avec une
alternance r/n en finale, cf. E.
BENVÉNISTE, Origines, chap.
I. |
3° |
“ascendance, antécédent,
lignée” : l’expression LUR AITOR
ONEKOA litt. “terre de bonne provenance, lignée
dont la productivité ne s’est jamais
démentie”, qu’ AZKUE traduit
par “fertile”.
Quant au sens de “confession” (Azk.,
op. cit., 20), il est hors de propos dans
la même rubrique car il procède d’un
verbe /AI-PU/*EI-TU/ répondant
à lat. ait
de aiō
(aiiō)
“dire”, le plus souvent employé
en incise (cf. DIOT “dis-je”,
ZIOTEN “disaient-ils = lat. aibant)
et a donné AITOR
*AITE-AR = lat. fateor,
gr. φᾶτος
(phatos) “parole, discours”.
Cf. AIT(H)OR,
AIPU,
IPUI (voir lexique). |
AITOR de *AIT-AR père
géniteur/v. irl. athi̊r.
ORTZI/URTZI , Dieu, Ciel est
un composé de /UR-/OR-/AR/
eau
semence
"mâle géniteur" et un verbe dexistence
/IZ/ ? Ce radical /AR/ mâle
se retrouve dans gr. ἄρσην,
-ενος
(arsēn, -enos) « [...] “mâle”
par opposition à femelle : c’est le nom générique
du mâle, “masculin” » (Chtr. 116),
gr. ἀρσενικόν
“(genus)
masculīnum”
= “genre masculin” (M. 224, s/fēmina),
lat. arsēn,
-ĕnis “mâle”,
dans l’adjectif d’état bsq. AR-KA-RA
“oestrus” des ovi-capridés, ARKALDU
“couvrir, saillir” la femelle, roman d’Aragon
urcir “couvrir,
saillir”, bsq. ARKOTZ “verrat”, lat.
hircus “bouc”,
bsq. ERGI “taurillon”, etc.
La diphtongue initiale a dû se consonnantiser
*PITAR, *PATER : En euskera même il
y a tendance avec les diphtongues fermées à
la consonatisation ; en lat. parfois semi-voyelles. Lat.
/is/ lui
génitif singulier ejus,
pluriel eorum leur
et bsq. BEREN ; *AYUT-I
BETI toujours, les doublets survivent
et cohabitent parfois dans les énoncés dun
même locuteur. Ce qui confirme le latin qui présente
en même temps : aētas,
æternus, et
uetus,
ueternus vétéran.
Lanalogie suffixale sobserve partout dans
les dialectes issus de lindo-européen originel.
Ainsi en iranien (moyen perse, persan moderne) après
que lancienne série pitar
père, mātar
mère, brātar
frère, duxtar
fille, aboutissait phonétiquement
à pit,
māt, brāt,
duxt, il y a eu rétablissement
de /ar/, ultérieurement
: pidar,
mādar, brādar,
duxtar et même
pusar fils
(pour pus) E.
BENVÉNISTE. Institutions, I, 256-257.
|
 |
Le nom
du frère : i.-e.
/bhrāder/, skr.
bhrātar, avest.
brātar, gr. phrā́tēr,
lat. frater, v. irl.
brathir, got. broþar,
v. sl. bratrŭ,
bratŭ, v. pruss.
brati̱, tokh.
prācer. E.
BENVÉNISTE, Institutions, I, 212
: « ce /-ter/ nest ni le morphème
des noms dagent, ni celui des comparatifs ; on peut
seulement constater que, issu de *pəter
et *mātēr,
il est devenu indice dune classe lexicale, celle
des noms de parenté. »
Donc, dans le cas de frère on ne sait
rien ni de /*bhrā-/
ni de /-ter/.
On saventurera à interpréter par /*BER-AITOR/
(de) même père, qui dans les
dialectes i.-e. ne peut phonétiquement aboutir
quà /*BRATOR/*BRATAR/, th. II réduit,
soit co-paternité, (de) co-paternité.
Le grec a remplacé phrā́tēr,
quil possède, par adelphos
frère et adelphē
soeur, soit co-utérins,
quant à phratres,
le mot sest spécialisé dans le sens
de confrère, phratrie religieuse,
etc. Cf. à Rome, les arvales
fratres : prêtres de Cérès,
confrérie dagriculteurs. Mais il y a plus
explicite : quand Darius dans les proclamations royales
veut parler de son frère consanguin, il ajoute
le descriptif « ham pitā,
hamāta », de même père,
de même mère et le grec a homo-paterios
et homométrios.
E. BENVÉNISTE Institutions
I, 213.
Leuskera moderne na pas trace dun terme
de ce type pour dire frère |
 |
Le nom
de femme ou soeur : i-.e
/*swesor/, skr. svasar,
av. xvanhar,
gr ἔορ
(héor) glosé
θυγάτερ
(thugátēr) fille.
Li-.e /*swe-sor/
est formé de /*swe/
/*swos/, pronom réfléchi
et possessif applicable à toutes les personnes
pareillement ; russe moderne dit svoj
mon, ton, son, notre, votre, leur propre ;
skr. sva- vaut indifféremment
mien ou tien ; (thème
/*sw-/ bulletin de
la SLP, T. 50, 1954, p. 36) et de lélément
/*-sor/ retrouvé
dans les ordinaux pour exprimer les formes de féminin
: cel. cetheoir,
véd. catasry
quatrième femme. Liranien révèle
la forme har- dans
avest. hāirii
femme, femelle à suffixe /-ı̊x̌/-ī/
(/-ī/ = /ia/),
comme aussi dans le féminin skr. mahịī
reine.
Cf. bsq. HURRIXA
femelle, voir Lexique.
E. BENVÉNISTE op. cit. p.
215 conclut : « à la différence du
mot pour sur [/ii/,
gr. /issa/ demeure
inexpliqué par lauteur], nous navons
pas les moyens danalyser le nom du frère
[
]. Il est vain de rattacher /*bhrā-/
à la racine /*bher-/
du lat. ferō,
puisque aucun emploi connu des formes de cette racine
ne conduit au sens de frère. »
La forme basque /BER/ (/B-/ initial dorigine
complexe, cf. Azk. 275) même, semblable, propre,
de soi
se retrouve sans doute ailleurs : lat.
semper, pauper,
gr. ὡς-περ
comme, de même que, etc., cf. bsq. BER-HAU
ceci même, ce même, BER-HORI
lui même, vous-même = cast. usted,
BEREZ-BER par lui, soi-même,
etc. Le lat. /-per/
de nūper récemment/bsq.
ORAI-BEREAN, topper
celeriter,
parumper en
peu de temps, paulisper
un tout petit peu/POXI BAT BERA
juste une miette, /POXI/
?
paucus, pauciēs.
Ce /B-/ pourrait être, en euskera, la réalisation
dune laryngale
(conventionnelle /H/) dans certains environnements
phonétiques, pronom 3ème personne
HURA lui là-bas, /H/
napparaît pas dans tous les dialectes en GOI-HERRI/GOIERRI
(G) on dit EREKIN pour HAIEKIN ou HEREKIN
avec eux EREN BURUAK leurs personnes,
eux-mêmes ; EUREN leur
évoquant lat. eorum,
réalisé au nord et en Navarre BERE
son et BEREN leur.
Dans des mots comme BUZTARRI joug (
*BIKUZTARI = apparieur/* BIKUNDARI
= apparieur, joncteur de deux : lat. jungō,
gr. zεῦgos
attelage, couple de bêtes), le /B/
initial tombe dans certains dialectes /L/, ailleurs,
/G/ le remplace : GAZTIGAR/AZTIGAR
érable. Cette hypothétique laryngale
semble apparaître dans ou à la place de certaines
diphtongues complexes, cf. BETI (
AYUT-), lat. æter,
bsq. AHO/ABO bouche, NUEN/NUBEN
javais pourraient être le produit
de lextension analogique.
Pour Azk. 150, /B/ serait le reste dun pronom
de 3ème personne; nous en conviendrons
tout en pensant quil sagit de la réalisation
phonétique dautre chose (/H/ de HURA,
de angl. he, lat.
hic,
il[le] il,
lui ?).
Nous ne suivrons pas ce grand maître quand il étend
lacception pronominale au verbe impersonnel en euskera
(il ne lest pas dans toutes les autres) /BE-/BI-/
qui est un auxiliaire dinjonction soudé =
devoir.
AZKUE explique /BER-/ en /B-/ pronom
+ /ER/ « infixe intensif signifiant même
», ce qui nous laisse perplexe : nous pensons que
/R/ est un pontage phonétique
apparaissant entre radical et flexion, surtout aux désinences
casuelles, cf. (H)EUK eux, EU-R-EN/EU-R-EI/EU-R-ENTZAT/EU-R-EKIN,
etc. /BER-/ résulterait dun collage
devenu parasitaire en labsence de la
désinence, de cet /R/. On constate le même
phénomène dans les infinitifs
des verbes à radical fléchi au datif
: ETHORTZEA-R-I DA ORTZIA lorage
est à venir, lorage va arriver qui
se dit ETHORTZEA-R et même ETHORTZE-R
forme plus nuancée en BN il (était)
à venir, il a failli venir. Et BE
deux
BE(R) même, cf. BERR-I-Z
de nouveau
deuxième fois, soit le même
= BER.
On ne manquera pas de constater le parallélisme
des usages entre /-per/
en lat., gr., et /BER/ en bsq., dune part,
et la formation des infinitifs en i.-e. par la désinence
de datif, dautre part (voir ci-dessous).
Certes on souscrit volontiers à A.
MEILLET qui précise : |
|
« même si les
ressemblances de vocabulaire signalées ne sont
pas fortuites, on na
aucun moyen de montrer quelles ne proviennent pas
demprunts » [p. 96] ; « le vocabu-
ulaire ne peut servir quà orienter la recherche
; la preuve se trouve ailleurs » [op. cit.
97] |
|
|
Les grands linguistes hésitent
assez souvent à déterminer s’il
s’agit d’emprunt ou de formules
parallèles à partir d’une antique
et même racine. Notre érudition
est trop modeste pour trancher et nous
laissons volontiers à de mieux informés
que nous, le soin d’analy-
ses futures plus poussées. Une grande partie
du vocabulaire basque
découlerait des sources latines et romanes
selon le credo officiel...
Le latin a un vocabulaire composite selon
MEILLET, P. IX de son
dictionnaire : |
|
|
|
|
« il n’y a
aucune langue indo-européenne dont
le vocabulaire soit tout entier d’origine
indo-européenne, comme la morphologie
l’est entièrement. » |
|
Les conquérants
indo-européens auraient beaucoup
emprunté aux langues de substrat.
Il affirme que ... |
|
« dans aucune langue
indo-européenne on ne peut discerner
au juste quelle est la part des emprunts.
» |
|
|
|
|
|
C. |
Les parentés
des langues « Toute langue comprend
en proportions variées des éléments qui
proviennent de plusieurs langues différentes »
A. MEILLET. op. cit. p. 113, « elle
est faite de bric et de broc » aimait à dire P.
LAFITTE de l'euskara.
Il faut donc considérer au moins deux approches : celle
qui déterminerait les éléments indigènes
et celle qui discernerait les emprunts. Voilà le cur
de la problématique que notre travail ne prétend
pas changer sauf pour certains éléments historiques
cernables : ELIXA, APHEZA, ERROMESA, KONKRETUA, ORDINATEUR-A,
TRAKTURA, FURTEXTA, etc. Mais déjà pour ORKA-TXA
fourchette , GAZTA/GASNA
lanalyse
plus poussée simpose malgré lasturien
horcacha, lat. caseus
et fr. caséine. Bsq.
ITSURA/ITXURA à laveuglette,
mais aussi représentation, figure peut sexpliquer
par cast. hechura uvre,
figure (TOVAR & AGUD) mais aussi bsq.
ITSU aveugle fléchi /R-A(T)/
= à laveugle : AXURIAK ITSURA
SALDU vendre les agneaux sans contrôler le poids
(Garazi), ITSURA IHARDETSI répondre sans
se référer à vérification de la
pertinence ; Bsq. AIUTA élan, énergie
vitale, violence, vitesse traduit lavement
!! par Azk., dun informateur des Aldudes et quil
suppose être de cast. AYUDA
aide
Tout ce qui brille nest pas de
lor.
Bsq. BEGIRATU observer, surveiller, conserver,
protéger de /BEGI/ il+
/R-AT/ désinence de
ladlatif
+ /TU/ de thématisation, est officiellement assuré
de dériver du lat. *vigilia
veille
inter-uigilō ; obuigilatus
surveillé de uigēre
être bien vivant, vigoureux. A.
MEILLET 735 : « en partant de ulgeē qui est évidemment
ancien, on naperçoit guère comment peut
sexpliquer l/i/
de uigeō, uigil,
par des procédés normaux de la phonétique
latine (à moins dadmettre une assimilation
*uegil
uigil ?) ». Veille
se dit en bsq. moderne BIXILIA/lat. uigilia/irl.
uigil
, veiller
bsq. BEILATU/BELLATU.
• |
Des termes comme
lat. carō, carnis,
th. I, morceau de chair, gr. sárx
chair, th. I, morceau de viande
; gr. κρέας
(kréas) morceau de viande, th. II ;
skr. kravis viande,
th. II ; bsq. HARA-GI viande,
th. I suffixé /-GI/-KI/ (cf. JAKI,
URGI, etc.), lat. crūdus,
th. II, cru et lat. cruor
chair crue, saignante ; skr. krūra̍ḥ,
avest. xrūrō
sanglant ; irl. crú,
m. gall. creu sang
répandu, th. II ; skr. kravyam
chair crue, th. II ; lat corium,
th. I, peau et crusta,
th. II, peau qui recouvre un liquide ; bsq.
GOR-DIN cru, peut-être
GORRI rouge, ZAKAR croûte,
etc.. etc., dérivent tous dune même
racine commune /*ker-/
couper
gr. keirō
je coupe, cf. bsq. ZERRA/XERRA
trancher ; bsq. BIZ-KAR épine
dorsale, litt. en deux couper : les
victimes étaient tranchées longitudinalement
en taillant la colonne vertébrale . Ici,
comme dans toutes les autres coïncidences
(cf. lexique), lhéritage commun est indéniable.
En effet, chaque langue a imprimé sa marque propre
à un matériau de départ commun :
les développements dialectaux ont été
parallèles, par exemple les préfixes et
suffixes des formes basques relèvent dune
démarche originale bien queux-mêmes
se retrouvent dans les autres langues affectés
à dautres radicaux de manière analogue
: préfixe /ZA-/ = /ζά/
gr.
/διά/
à sens de superlatif en composition, Chtr. 396.
Cf. bsq. ZABAL , th. I, étendu, large,
plat/gr. πλάξ
(plax), germ. floer
terrasse rocheuse, th. II. Mais gr. *ζα-πλαξ
(za-plax) ou διά-πλαξ
(diaplax) ne sont pas signalés, à notre
connaissance, du moins. La racine en serait /*pel-ə2/
palamē paume
de la main, th. I, et planáomai
errer, aller ça et là, sécarter
du chemin, soit en français moderne = planer,
th. II. |
• |
Bsq. OGI pain
URGI pain, Aymeric PICAUD (XIIè
S), bsq. BARUR/BADUR à jeun,
affamé, BORROSKA miette,
BORROSKA-TU broyer, bsq. BARRU
dedans, intérieur, BARRUTU intégrer,
inclure, BARRUKI boyaux, viscères,
issues ou tripes dun animal, BARRUNBE
entrailles, Azk. 134-135, BARRUNDU
pénétrer et lexpression
BARRUNA BIDALI avaler, engloutir litt.
envoyer en direction du dedans, etc., à
voir infra, dune part. Et dautre part
lat. uorāre
avaler, engloutir de racine dissyllabique
/*gwerə/*gwrē/o/
avaler, M. 753. On fera remarquer quil
ny a pas de racine dissyllabique
en i.-e, E. BENVÉNISTE, Origines
; et toute la famille reliée à uorāre
: gurguliō,
gurges, gula,
gluttus, etc. ; gr
bibrōskō,
th. II ; arm. keray
jai mangé ; lit. geriu̇
javale ; bsq. GERRI taille,
milieu du corps = ventre ; lensemble dérive
de la même racine dorigine /*GAR/BAR/
*UOR/, etc. Il est difficile déluder
la vraisemblance des rapprochements tant formels que sémiotiques
: bsq. BAR/BHER-/BE(H)ER bas
et intérieur est bien établi
par Michel AURNAGUE, Études basques,
Bayonne. |
• |
Comme lat. arbos,
-ris arbre,
bsq HAR-ITZ, lun et lautre ayant
pour signifié plante, arbre à nourriture.
Cf. bsq EZKUR gland, faîne et
bsq. HAZKURRI qui fait développer,
qui nourrit, nourriture, provision, etc., de HAZ-I
se développer, croître/lat. uescor
se nourrir ; « aucune étymologie
claire », M. 728 s/εσθίω,
ἔσθος
(esthiō, esthos)
de limpératif athématique
ἔσθι (esthi) manger
du verbe ἐδω,
ἐσθιω
(edō, esthiō) manger. Gr. εἶδαρ
(eidar) nourriture dont le suffixe /*wr̥/
skr. vy-ad-vara̍
dévorant : racine /*ed/
bsq JAT, germ. it
manger/lat. uorāre
dévorer, bsq HAR-TO,
UR-GI/ARTO pain et gr
αρτος
(artos) pain, Hom. βορα
(bora) pâture. |
• |
Limpression que lon
retire de ces explorations cest que ces formes de
différentes langues dériveraient dune
même racine dorigine aménagée
diversement avec une boite à outil
grammaticale qui est accessible à tous les opérateurs
et aboutissant à des profils originaux. Dès
la fin de la dernière grande glaciation (Wurms
III), les traces laissées par les hommes dans les
habitats et analysées par les archéologues
nous informent de la constance des sources alimentaires
de nos ancêtres, dont glands, faînes, noix,
noisettes. Cf. Histoire De la France rurale,
DUBY et WALLON, T. I. Il sagit de
vocabulaire fondamental : manger, dévorer, nourriture,
pâture de bête de proie, avaler. Perpétuel
souci de lespèce. |
• |
Pour des preuves plus décisives
de l’héritage commun que recèlerait
l’euskera, la comparaison des combinaisons syntaxiques,
que semble dessiner l’analyse des vocabulaires,
doit être proposée et essayée systématiquement.
Ce sera l’objet de la thèse qui suit. |
|
|
|
D. |
Ressemblance
et parentés
Les ressemblances entre langues différentes portent sur
des aspects bien distincts :
D1. |
LA STRUCTURE
OU TYPE DE L'IDIOME, SOIT LA PLACE DES MOTS DANS LA PHRASE
Leuskera actuel obéit à un ordre inverse
de la phrase du français: jétais
à la chasse
chasse la en jétais. Dans les
composés à déterminant-déterminé
pomme dhiver
bsq. hiver pomme, prune des bois
ou prunellier
bsq. bois prune. Outre la position des mots,
on note l'absence de relateur grammatical, phénomène
dagglutination que le français conserve dans
des formes comme maintenir pour tenir
en main. Ces types de ressemblance ne sont pas rares
: certaines langues du Caucase présentant une typologie
ressemblant à celle du basque ont fait couler beaucoup
dencre sans aboutir à des conclusions nettes.
|
D2. |
LE CONTENU
DE LA LANGUE : SONS, MOTS
Traits grammaticaux : bsq. GARIMA, Azk. GARHIÑA
cri dépouvante de femme, denfant
et lat. clamāre
crier et lat. carmen
cri de la victime que lon égorge
susceptible dattendrir les dieux... on bâillonnait
la victime pour lempêcher de crier. Le matériel
semble être sensiblement le même en lat. et
bsq., mais la racine, pleine en bsq. /*KAR-/XAR-/
(XARANGA), est réduite en latin /cla-/
et /r/
/l/ ; pleine
en skr. kārúḥ
chanteur, poète et en gr. κἆρυξ
(kārux) héraut. Bien que ces rapprochements
soient impossibles pour M. 101, qui affirme « il
ny a pas de racine de la forme indo-européenne
/*kār/ »
(voir lexique /KAR-/).
La fonction des mots dans la phrase est indiquée
dans leuskera par les désinences ou suffixes
post-posées : ETXEA-N (cas inessif)
et en français par la place dans la phrase et des
prépositions à la maison.
Les ressemblances peuvent être dues :
|
au hasard : exemple gr. potamos
fleuve et U.S.A. Potomac
un cours deau. |
|
à lemprunt : fr.
alcôve
arabe al-qubba,
comme azur, douane, divan, magasin, bazar. |
|
à la parenté
génétique : lat. can-ō
je chante, angl. to
sing et song
chanter et chant/bsq. des
composés de /XAR-/KAR-/ : XAR-ANGA
dulzaina, cornemuse et KAR-ANKA
croassement, cri dalarme des volatiles,
dont les formes se contractent pour donner 1º
XAINGA jappement, ZAUNKA
gros aboiement de gros chien, braiement
; 2º /ZINK-/ long cri,
hululement retombant en cascade de chasse, de fête,
etc., soit terme nu ZINKA (Soule, Orsanco,
Amikuze) ou composé à nouveau IRRINTZIN
you-you de fête, ZINK-UR-IN
pleurnicherie. Cette
proposition de parenté nest préconisée
nulle part ailleurs.
Il peut y avoir ressemble aréale
portant sur les sons, les mots, les traits grammaticaux,
consécutive à une longue période
de contiguïté géographique de
deux langues : le /ü/ dans leuskera de
Soule serait dû au voisinage de parlers celtiques
ou germaniques au cours de périodes prolongées
de la protohistoire (celtes), de lhistoire
(Visigoths centrés sur Saint Bertrand de
Comminges au Haut Moyen Âge).
Quand lemprunt aréal est généralisé,
on parle de Sprachbund,
cest un peu le cas des parlers créoles
qui mêlent des éléments provenant
de diverses langues sans quil soit toujours
possible danalyser avec netteté les
sources.
Des linguistes parlent de parenté par
voisinage ce qui semble une abstraction :
Leuskera et les parlers latins puis romans
ont voisiné depuis plus de 2000 ans sans
se convertir les uns dans les autres : les emprunts
sont indéniables, mais, sil y a parenté,
elle se situe dans un passé bien plus ancien
et ne peut se détecter que par la détermination
dévolutions morpho-syntaxiques parallèles,
dune part, et par le constat de la permanence
déléments grammaticaux et de
racines communes, dautre part. Si ces correspondances
sont systématiques, basées sur des
formes et des sons qui se recouvrent et avec des
signifiés semblables, on va pouvoir présumer
dune parenté génétique.
° Les désinences casuelles
° Les premiers chiffres °
Les pronoms ° Les flexions verbales
° Le vocabulaire de base °
La structure des mots ° Les procédés
de composition et de dérivation à
partir de racines communes.
Il est des recouvrements frappants : bsq. AHATZE,
ARETXE veau de lannée
opposé à BIGANTXA génisse
de deux ans et skr : vatsa̍ḥ
désigne le veau (animal de lannée,
cf. uitulus
veau), mais ce nest pas le plus
intéressant car le hasard pourrait lexpliquer
; il faut aller plus loin. On a gr. dor. Etelon
petit de lannée, donc du
groupe de gr. ϝετος
(ϝetos) année, litt. wet
année, mycén. weto
(accusatif), wetei
(datif) année en cours. Mais
le mot basque UR-TE année,
suffixe /-TE/ à sens de collectif
nous dirige vers ARO saisons
et temps météorologique
v. irl. urid
onn-urid de
lannée précédente,
arm. heru, m.h.a.
vert, v. isl.
Fjord, angl.
Mod year année
font l'indo-européen reconstruit /*peruti/
, Chtr. 890.
Déconcertant aussi la présence dans
leuskera de formes aussi écartées
lune de lautre que ARETXE/AHATZE,
qui semble pris directement dans le sanskrit et
URTE année, AURTEN
cette année en cours
HAU URTE-N cette année
en dénotant une autre grammaire que
lactuelle, qui place les démonstratifs
après le mot quils déterminent
: cf. lat. hocanō,
ger. Ho-jer
de /*yer/. Quant
au bsq. BIGAN-TX-A (/TX-A/
= diminutif) génisse de deux ans,
ARTAN-TXU antenaise, brebis
de 2ème année ? /BIGA/
deux déterminé et /ART/
ovin mais voilà que surgit le
morphème /AN/ avec le sens de
année ? cf. gr. δ-ενος
(di-enos) de deux ans. La présence
de formes variées dun même mot,
aussi poussée dans leuskera est à
souligner : les choses semblent se passer comme
si le basque avait grappillé dans vingt langues
des formes, à prime abord aberrantes, pour
exprimer un même signifié, justifiant
la boutade de P. LAFITTE : «
une langue de bric et de broc ». Ayant écrit
la grammaire de leuskera moderne et un lexique,
il avait dit aussi avant de séteindre
: si lon veut y voir clair dans leuskera,
il faut tout redémarrer à partir du
grec
Helléniste lui-même, ce
nest pas un hasard sil formula ainsi
son intuition.
Les reconstructeurs de lindo-européen
répètent combien la langue commune
davant la dispersion avait des formes complexes,
une conjugaison extrêmement compliquée,
dont beaucoup de traits ont survécu dans
le verbe grec, malgré le travail de régularisation
mené par les parlers grecs. Ceci se vérifie
dans la conjugaison synthétique ou TRINKOA
(trois douzaines de verbes) aux formes imprévisibles
du basque et dans les collections de formes des
radicaux du vocabulaire qui, ailleurs, sont le plus
souvent disséminées dans divers idiomes.
Une constante cependant : la racine du mot basque,
toujours monosyllabique, est de forme pleine, th.
I, CVC consonne-voyelle-consonne- (entendant
par /C/ des consonnes réelles, des
sonantes et des laryngales). Les laryngales sétant
souvent amuïes, le plus souvent avant une sonnante
/r/ ou /l/ (bsq. LE(H)I
et gr. λῶ
(lō) désirer de /*wo/el/
tourner
lat. velle ;
gr louō
(se) laver, (se) baigner de /*wul
/HUR/ eau bsq. Chtr.
647 donne indo-européen /lew-/.
On trouvera des racines en apparence à deux
lettres, qualifiées darchaïques
par les étymologistes de lindo-européen.
Bsq. LAKAIN toison, gr. dor.
Λάχνη
(lakhnē) duvet, poil, toison, lat.
lana
laine/angl. wool,
bsq. ULE/ILE laine de
/*wo/el/
ou /wol-nā/
tourner les fils de laine étant
spiralés, cf. skr. ulaka
boucle.
Lorsque lon trouve une racine réduite,
bsq. BROSKA pour BORROSKA (doublet)
miette, il faut linterpréter
comme emprunt ou déformation par voisinage
des formes des idiomes indo-européens, ce
qui se vérifie dans les dialectes orientaux
(Roncal, Bas-navarrais oriental : ORGATRA
pour ORGATARA, etc.)
Inversement, les racines des dialectes indo-européens
se présentent très fréquemment
en th. II ou thème réduit : exemple
fr., th. I, carène et th. II crâne,
mais bsq. GARHAI-TU , th. I, vaincre,
en arriver à bout/gr.κραίνω,
κραιαίνω
(kraínō, kraiaínō), th.
II, sachever, se terminer (médecine)
et être maître de, régner
sur
gr. κράντωρ
(krantōr) maitre, souverain. «
celui qui réussit », Chtr. 576.
Sans prétendre atteindre la certitude de
la parenté génétique de lindo-européen/euskera,
la comparaison des grammaires peut faire ressortir,
pensons-nous, des éléments de convergence.
Lexercice est délicat car les grammaires
ont évolué et nous ne ne disposons
pour le basque que de sa grammaire actuelle dont
nous ne connaissons les transformations que depuis
le XVIème siècle, transformations
très minimes, à la vérité,
par rapport à celles quont connues
les langues latines dans le même laps de temps
; or pour lindo-européen reconstruit,
ses traits grammaticaux procèdent détats
de langues dil y a au moins deux millénaires.
Les comparaisons grammaticales pourront révéler
des formes et des états du passé insoupçonnés.
|
|
|
|
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|
7- |
CONCLUSION
|
Les |
considérations de A.
MEILLET, Dictionnaire étymologique du latin
: |
|
|
sur le « vocabulaire
noble » de l’indo-européen, |
|
|
la morphologie purement indo-européenne,
comme les « verbes radicaux », |
|
|
le « vocabulaire populaire
» de vaincus à technologie supérieure «
sur le plan matériel au moins » à
celle des « groupes de chefs » vainqueurs,
d’origines et de dates inconnues... nous laissent un peu
perplexe. |
|
|
Peut-on admettre que toutes les langues dites “pré-indo-européennes”
auraient ainsi été balayées à l’exception
de l’euskera, seul miraculé ? Et ce, chez des peuples
maîtrisant déjà l’agriculture, la zootechnie,
le travail attelé de la terre, les cultures fruitières,
la vigne, la métallurgie, la navigation, etc., donc des populations
ayant réalisé la Révolution Néolithique,
nombreuses et organisées. Nous nous permettons d’en douter.
Des civilisations et des empires historiquement connus assez bien,
disposant de moyens d’intégration et de destruction,
terrifiants pour certains, à technologies largement supérieures
à leurs sujets vaincus, et malgré une action souvent
séculaire d’assimilation des vaincus n’ont pas
abouti à de tels résultats. L’iranien, le kurde,
l’araméen, le copte, les langues sémitiques ont
survécu à l’Hellade.
La longue domination romaine n’a pas détruit toutes les
langues celtiques, germaniques, slaves, dialectes grecs d’Italie
même, le berbère, le sémitique de Syrie, ni l’araméen
et le copte. Quant à l’Europe de la Renaissance et ses
génocides à grande échelle sur les peuples amérindiens,
et malgré le grand écart technologique militaire des
conquistadors (cheval, roue, mousquets, artillerie...) et les moyens
d’intégration religieux persuasifs, cela n’a pas
été suffisant pour effacer les nombreuses langues amérindiennes
chez les survivants, ni pour faire disparaître leurs cosmogonies
et religions.
L’empire arabo-islamique, redoutable assimilateur, n’a
pas gommé langues et cultures antérieures dans la péninsule
arabique elle-même.
L’archéologie et la climatologie attestent de vastes
mouvements de populations du Nord vers le Sud, consécutifs
au refroidissement du climat. Cf. l’Histoire de la France
rurale, G. DUBY et A. WALLON ; I, 190 (1975) :
A l’âge du fer (-750 au Ie siècle avant
J. C.) une sérieuse perturbation climatique, avec baisse des
températures moyennes et accroissement de la pluviosité,
modifie les données agro-climatiques « surtout dans le
Nord de l’Europe, dont les habitants sont tentés d’aller
chercher plus au Sud des conditions de vie plus favorables ; ainsi
débute une période de remue-ménage qui devait
durer, avec des hauts et des bas, jusqu’aux invasions normandes
de la fin du Ier millénaire de notre ère.
» Epoque de réchauffement climatique. Comme il y avait
eu de fortes croissances démographiques au bronze final en
Europe Centrale, des vagues de peuples dits “celtiques”
s’ébranlent, sous la pression de leurs voisins septentrionaux,
vers la Bavière, la France, l’Angleterre, les Balkans,
l’Asie Mineure, l’Italie, le Languedoc, l’Ibérie.
Mais les théories en cours sur « l’épopée
» des « petits groupes de chefs indo-européens
» ne peuvent s’assimiler à ce « remue-ménage
» de la proto-histoire. Ajoutons que le proto-grec mycénien,
qui est une langue indo-européenne, est attesté bien
avant ces évènements.
Les récits homériques et leurs contemporains bibliques,
tout suggestifs et dignes d’intérêt littéraire
qu’ils soient, ne sont que des mythes habilement ciselés
et témoignent en premier lieu de l’aptitude à
la fiction enchantée de l’espèce humaine.
Nous mettons donc en doute la théorie d’une invasion
de peuples indo-européens, « de la Scandinavie à
la Méditerranée, des steppes de l’Asie à
l’Océan Atlantique », qui auraient submergé
tout le reste... et dont seul l’îlot basque aurait été
l’exception. Notre travail pose suffisamment d’éléments,
pensons-nous, pour conclure à l’appartenance de l’euskera
au groupe de langues indo-européennes :
|
dégagement des racines
identique dans le groupe indo-européen et l’euskera,
avec les mêmes méthodes (dépouillement de
formes des affixes, désinences et flexions qui peuvent
les entourer) ; |
|
en distinguant thèmes simples
et formes composées... ce qui exige une très bonne
connaissance de l’euskera et des comparaisons externes
; |
|
distinction des deux (ou trois)
thèmes racinaires I, II, III, dont le thème I,
le plus ancien, est systématique dans les formes basques,
à des exceptions près, et le thème II le
plus régulier dans les autres dialectes indo-européens
; |
|
reconnaissance des formes d’aphérèse,
d’épenthèse,
métathèse,
psilose
et les permutations consonantiques, pour lesquelles les travaux
de L. MICHELENA ne permettent pas de recouvrir toutes
les occurrences, pour retrouver les formes originelles. Lesquelles,
heureusement, survivent souvent encore, en doublets, dans la
langue actuelle (MAKIL/MAKUR, LINGAR/NINGAR,
UZTAR/BUZTAR, AZTIGAR/GAZTIGAR,
PORRO/ZORRO/GERRI, EHAIN/HEBAIN/EHAIL-I/HIL,
etc.) ; |
|
les alternances vocaliques
qui semblent servir à la différenciation sémiotique
de formes bâties sur même base d’origine (GORA,
GARRAI, GIRI, GEREIÑO, GURI,
etc.) ; |
|
les strates grammaticales successives que l’euskera
a connues et, qu’en tout cas pour nous, seule la comparaison
externe permet de concevoir (E-BIL-I, E-KHEN-DU,
I-KUZI, UTZI/EITZI, I-GUR-TZI...)
; |
|
le grand nombre des correspondances
formelles et sémantiques de signifiants de techniques
et d’instruments dont l’apparition est datable pour
les archéologues et qui ne remonte qu’au Néolithique
moyen ou final, ce qui donne une idée de la distance
temporelle, modeste, nous séparant de la “babélisation”
relative des dialectes indo-européens consécutive
à la sédentarisation. |
En sorte que des travaux plus approfondis que le nôtre pourraient
prochainement, peut-être, apporter des présomptions renforcées
sur la réalité proto-indo-européenne de l’euskera.
|
|
|
|